Comment se fabrique un tapis de feutre décoré de symboles kirghizes
La coopérative « Altyn Kol» a été fondée à Kochkor, au Kirghizistan en 1996, sous l’impulsion d’Helvetas Switzerland. À ses débuts elle comptait deux cent femmes de tous les villages alentours, aujourd’hui elle réunit une quarantaine de femmes, parmi elles quelques jeunes femmes âgées de 20 ans et plus. Il existe une deuxième coopérative dans le même village.
Vidéo sur la fabrication de tapis en feutre au Kirghizistan
De géométrie souvent symétrique, les motifs symboliques de ces tapis représentent des cornes de bouquetin, des ailes, une tête d’aigle ou des ondulations de montagnes qui font le tour du tapis. Jadis de couleurs plutôt mattes, les tapis ont aujourd’hui viré vers des couleurs plus vives… pour correspondre aux goûts des acheteurs potentiels que sont les touristes. On utilise de la laine brute de mouton, de coloris brun ou blanc, que l’on teinte avec des colorants chimiques. La laine brute est disponible sur place puisque la plupart des familles paysannes kirghizes possèdent leurs propres moutons. Elle est patiemment débarrassée des brins d’herbe et autres saletés emmêlées à ses filaments, puis découpée en touffes et en brins d’une dizaine de centimètres de long. Ses brins sont cassés à l’aide de barres métalliques, brossés dans des peignes aux dents d’acier, jusqu’à ce que la laine obtienne la fine structure désirée. Chaque feutre est constitué de deux couches superposées, les brins raccourcis à quelques cinq centimètres étant orientés perpendiculairement d’une couche à l’autre. À l’aide de laines teintées, on dessine les motifs du tapis sur une cloison de roseaux déposée au sol. Puis les interstices sont complétés de laine brune ou blanche, jusqu’à obtenir la forme et la taille du tapis désirées. Tout en humidifiant la laine en abondance à l’aide d’eau bouillante, la cloison de roseaux et le feutre sont alors soigneusement enroulés en un cylindre régulier, fermé par une longue lanière. Le cylindre est à nouveau arrosé d’eau bouillante. Survient la partie gymnique de la fabrication, qui consiste à fortement piétiner le cylindre pour tasser la laine et la solidifier, pendant que le cylindre est roulé au sol, sous les pas. C’est l’acte de fabrication du feutre proprement dit, qui dure plus de 30 minutes. Il se déroule dans la bonne humeur, accompagné de chansons ou de rengaines rythmiques. Le cylindre peut ensuite être détaché et déroulé au sol, dévoilant le tapis de feutre presque achevé. Une finition attentive est encore effectuée par pression des coudes et des avant-bras, pour obtenir une épaisseur uniforme, une structure plus souple et un dessin correspondant aux attentes. Le tapis, désormais souple et pliable sans que le feutre ne se défasse, doit ensuite être lavé à plusieurs reprises, séché durant 24 heures puis une nouvelle fois détrempé d’eau bouillante, compressé et lavé. Ainsi naissent des chefs d’œuvres d’artisanat, qui doivent régulièrement être dépoussiérés à la main, les filaments de feutre détestant l’aspirateur, sous risque d’être progressivement arrachés au tapis
Boutique de tapis de feutre de la coopértive Altyn Kol, à Kochkor
Les tapis aux motifs découpés et cousus
D’autres tapis sont assemblés à l’aide de feutres confectionnés par des machines. Les motifs sont rigoureusement symétriques, dessinés à la craie sur le feutre. On superpose deux couleurs de feutre différentes, dont les motifs sont soigneusement découpés aux ciseaux, puis emboîtés l’un dans l’autre en alternant les couleurs. Chaque motif est détouré à l’aide de deux ficelles de couleur, constituées de trois brins filés en torons de sens inverse; les morceaux de feutre et les ficelles les détourant sont assemblés au fil et à l’aiguille, à la manière d’un puzzle. Parfois les motifs sont encore renforcés d’une frise de couleur. Le puzzle ainsi assemblé est ensuite cousu sur une double couche de feutre brun, sur lequel le tapis reposera au sol.
Coucher de soleil sur le Pic Lénine, à 15 km du camp de base
Qu’il a l’air lointain, le sommet du Pic Lénine! Il est difficile de se rendre compte de sa réelle envergure depuis le camp de base, éloigné de 15 kilomètres, 3500 mètres plus bas. De loin, il apparaît tel un créneau plus élevé que de nombreux autres, constituant avec ses pairs une immense muraille de glace et de roc: la chaîne du Pamir qui obstrue l’entier de l’horizon en direction du Sud. Cette barrière imposante se déploie au-delà de la vaste plaine d’Alay, dont les sables sont sans cesse soulevés par les vents. Au lever du jour, les 7000m d’altitude du Pic se révèlent dès l’arrivée des premiers rayons, qui soulignent le relief escarpé à franchir pour parvenir au pied de la montagne.
Un relief incroyablement coloré, qui dévoile de réels trésors géologiques dès le franchissement du Col des voyageurs, à 4150m. Taillée par le glacier puissant issu de sa face Nord, une vallée de glaces sales, de rivières boueuses et d’amas de rocs se languit en un chaos qui a dû se vouloir ordonné en présence du glacier. Au long de ses moraines, le géant a abandonné de surprenantes formations de roches entassées en conglomérats, tours et pyramides teintes de toutes sortes de couleurs: du noir anthracite aux ocres de grès délités, du gris des moraines à un orange blafard, en passant par un violet surprenant, issu de l’oxydation de la silice. Ça et là s’aventurent quelques plants de fleurs pionnières.
Une plaine glaciaire bordée de roches colorées
Sur le flanc de ce décor insolite se glisse une sente que remontent de petites caravanes de chevaux lourdement chargés. La contrée est un haut lieu touristique: les pentes techniquement aisées du Pic Lénine attirent de nombreux alpinistes issus d’horizons divers: de l’Iran au Japon, de Nouvelle Zélande à l’Europe sans oublier de nombreux russes, car le Pic Lénine a marqué l’histoire de l’alpinisme dans le Pamir. Au coeur de l’été, on compte plus de dix tour opérateurs et des centaines de clients alpinistes sur la montagne. La plupart confient leur équipement aux cavaliers, qui se chargent de l’acheminer dans les divers camps de base avancés.
Temps difficile pour les cavaliers transportant les charges
Chacun est constitué de tentes jaunes confortables, de tentes-mess ou de yourtes ainsi que de toilettes, voire même d’un sauna pour certains; les alpinistes bénéficient de services d’hébergement et de restauration jusqu’à 4500 mètres d’altitude. Plus haut, il incombe à chacun d’emporter son matériel, quoique des porteurs puissent transporter de lourdes charges jusque dans les deux camps d’altitude. Nul ne peut toutefois aller trop vite. Il convient de s’acclimater à l’altitude sur les sommets voisins du camp de base avancé, comme une nuit sur le Pic Ouxina, à 5100 m.
Spectre de Brooken au sommet du Pic Ouxina, 5100m
Une féroce grippe intestinale vient freiner ma progression, jusque là sereine et sans mal des montagnes: quatre nuits trop perturbées me forcent à redescendre. J’apprendrai à me méfier de l’eau qui, à cette altitude, bout à température moindre, ce qui vraisemblablement ne suffit pas à éliminer tous les virus ou bactéries qu’elle pourrait contenir. Mieux vaut la purifier à l’aide de tablettes. De retour au camp de base avancé une semaine plus tard, mon estomac remis, je peux à nouveau emmagasiner suffisamment d’énergie pour aller plus loin.
Passage technique à l’amorce de la montagne
Départ bien avant l’aube, de manière à éviter le bouchon qui se forme au pied d’un passage technique à l’amorce de la montagne: quelques pentes assez raides avec de profondes crevasses dont le franchissement est facilité par des cordes fixes. Mesure inadéquate puisque tout le monde a fait la même réflexion! Mais les passages ne sont pas si difficiles à remonter. Je renonce aux cordes fixes, à l’exception d’une échelle qui permet de franchir une cassure verticale. Au sommet de ces premières difficultés, je suis rattrapé par Slava, le porteur de notre camp: en cuissettes et chaussures de ski, il ne ploie nullement sous sa charge de 50 kilos.
Slava et sa charge de 50 kg
Nous poursuivons ensemble notre chemin alors que les premiers rayons du soleil nous réchauffent. Ils ne tardent pas à devenir ardents alors que nous rejoignons le premier camp, à 5200m. Au milieu de la caillasse et de nombreuses crevasses, il n’est pas des plus accueillants et nous prolongeons notre trajet d’une bonne heure pour parvenir à une épaule située juste au-dessus de 5500m. Depuis notre propre camp 2, la vue y est imprenable sur le Pic Lénine et sa face Nord. Il est encore tôt dans la journée. Trois heures supplémentaires sur une trace raide, affrontant directement la pente, me conduiraient au camp 3, à 6100m. Mais il faut faire preuve de patience et ne pas brûler les étapes, faute de quoi l’altitude me ramènerait vite à l’ordre.
Lever sur le Camp 2, 5565m et sommet du Pic Lénine
Suite de l’itinéraire, entre les camps 2 (5565m) et 3 (6100m)
Je passe donc une première nuit acceptable à 5500m, puis une seconde, bien moins bonne à 6100m. Mon souffle épais se calme en phase d’assoupissement, ce qui provoque de petites apnées qui me réveillent juste au mauvais moment. Quelques aspirations profondes calment la machine et cela recommence… Ces deux nuits en altitude devraient néanmoins contribuer à ma bonne acclimatation. Je redescends à 4400m pour bien récupérer, ainsi que bien manger, car là-haut l’appétit n’est de loin pas vorace.
Au-delà du premier passage technique
Deuxième départ après deux nuits revigorantes, de manière à pouvoir profiter d’une bonne fenêtre météo de quatre jours. Seul dans la nuit profonde, je me perds à l’approche du glacier et mets quelque temps à retrouver mon chemin parmi les moraines escarpées: deux heures perdues qui, plus tard, me coûteront cher sous le soleil ardent. En revanche, la plupart des alpinistes a déjà franchi le passage technique et je rattrape un peu mon retard. Mais le souffle a tôt fait de me calmer. Le chemin jusqu’au camp 2 s’avère long, les pauses de plus en plus fréquentes pour reprendre mon souffle. C’est fou ce que le psychisme affecte la progression; je dois me faire violence pour avancer. Un après-midi et une nuit entière de repos à 5500m me permettent de repartir le lendemain, dès l’arrivée des premiers rayons. La seconde nuit à 6100m s’avère moins pénible. Elle est interrompue prématurément par les préparatifs de départ, dès une heure du matin.
Regard vers la plaine glaciaire depuis le camp 2
Une brève nuit interrompue par les préparatifs, dès une heure du matin
Je dois déceler de rares crevasses dans le faisceau de ma lampe frontale, avant de remonter le sentier rocailleux au départ de l’arête: ces traces, décidément, sont beaucoup trop raides! Une longue arête ouest m’attend dans ma progression vers le sommet: 6 kilomètres au-dessus de 6000 mètres, en un terrain balayé par le vent d’altitude. Même modéré, il complique toute progression. De quoi calmer toute précipitation! Heureusement, aujourd’hui il n’y a pas de vent en haute altitude. Vers 6500 m d’altitude, le départ matinal se voit bientôt récompensé par les lueurs de l’aube, vite suivies par les premiers rayons.
Lueurs de l’aube à 6500m
L’ombre du Pic Lénine projetée au-dessus des montagnes tadjiques
L’ombre du Pic Lénine dresse un spectre surréaliste au-dessus des montagnes tadjiques. Suit une progression monotone sur une vaste arête, sans difficulté aucune, si ce n’est l’oxygène raréfié. Le moindre promontoire fait monter les pulsations, la respiration s’accélère et doit immédiatement être calmée par une pause. Je marche au rythme de mon souffle, même si j’ai l’impression d’être lent. De toutes manières, je ne puis aller plus vite! L’esprit s’alanguit dans l’unique volonté de progresser vers le haut. C’est à peine si j’accorde un regard intrigué aux marbres d’un blanc immaculé sur lesquels je progresse. Ou à l’horizon infini de montagnes escarpées du Tadjikistan
C’est à peine si je porte un regard intrigué aux marbres blancs sur lesquels nous progressons
Montagnes escarpés du Tadjikistan
L’appareil photo se charge d’immortaliser quelques souvenirs; je les contemplerai plus tard. Le temps passe, les mètres défilent à l’allure de l’escargot. Me voici sur le plat des parachutistes: haut lieu d’une opération audacieuse qui, dans les années 80, a vu se poser quelques parachutistes de l’armée russe. Arrive la vaste combe sommitale, dont l’un des flancs se redresse jusqu’au sommet, 300 mètre plus haut. Lente progression sur la neige uniforme, dans le monde uniforme de mon propre souffle: deux cents pas, vingt respirations, puis encore deux cents pas, vingt respirations profondes; la pente se redresse, plus que cent pas, trente respirations, cent autres, quarante respirations, qu’il est loin ce sommet! Cinquante pas, tout autant d’inspirations accroupi sur mon bâton… automatisme, persévérance, obstination diraient certains.
Deux cents pas, vingt respirations, puis encore deux cents pas, vingt respirations profondes; la pente se redresse, plus que cent pas, trente respirations, cent autres, quarante respirations, qu’il est loin ce sommet!
La méthode finit par payer et je me retrouve aux côtés de la tête de Lénine, scellée dans le rocher sommital: 7123 mètres! Sommet du Pic Lénine ou, pour les tadjiques, du Abu Ali Ibn Sino. C’est réussi! Le point culminant de mon long séjour au Kirghizistan. Je n’ai pas l’énergie pour exulter de joie, mais la satisfaction est intense malgré tout. Quelques photographies de ce vaste sommet ne me donnent guère de vue sur le versant kirghize. Ce sera compensé plus bas… Guère d’appétit non plus avec ce vent insistant. Le pic-nique aussi sera pour plus bas: un rite immuable pour moi, même s’il se résume à une barre de nougat.
Sommet du Pic Lénine, Abu Ali Ibn Sino, 7123m
Commence une longue descente pas à pas, un peu plus aisée tout de même au niveau de la respiration. Par bonheur le temps est beau, la visibilité parfaite; je ne m’imagine pas dans un tel état dans la tourmente ou le brouillard, devant aller chercher au plus profond de moi-même une énergie qui, il me semble, me fait défaut. Sur le chemin du retour, j’aperçois une combinaison jaune gisant à même la neige; je ne l’ai pas vue à la montée. J’essaie d’appeler cet homme mais ma gorge est tellement irritée par le temps sec que je ne sors pas un ton, si ce n’est une toux rauque. J’apprendrai plus tard que cet alpiniste iranien a dévissé il y a plusieurs jours dans le seul passage un peu raide de l’arête. Les secours monteront bientôt chercher sa dépouille. Je plonge à nouveau dans ma marche solitaire pour parcourir les 6 kilomètres d’arête me ramenant vers le camp 3, mû par ma seule et unique volonté. Une dernière descente, raide, précède la contre-pente d’une cinquantaine de mètres de dénivellation conduisant, enfin, au camp 3. Cette fois, la nuit y sera excellente. J’ai évolué à la limite des possibilités de mon corps plus tout jeune: j’en ferai ma fierté durant quelques années. 16 heures d’inlassable progression. Que la montagne s’est avérée longue! Puissent les souvenirs subsister tout aussi longtemps. Le corps, lui, s’en remettra…
Retour vers le camp 3 (sur la gauche) pour une nuit salutaire
Aux confins du Kirghizistan, la frontière avec la Chine et avec le Tadjikistan oscille entre 5000 et 7000 mètres d’altitude, au gré de sommets dont les faces nord, glaciaires, sont toutes aussi grandioses les unes que les autres. Le regard se perd en perspectives fuyant vers l’azur.
LA chaîne du Pamir au-delà de la plaine de Alay
Au pied de cette impressionnante chaîne du Pamir, la vallée de Alay mériterait l’appellation de haut plateau, tant ses étendues sont vastes, ses graviers interminables, parcourus de rivières qui méandrent leurs eaux boueuses à leur guise. Sary Mogol, village de quelques milliers d’habitants, étend généreusement ses maisons sur le cône de la rivière de même nom. Chaque matin le village se réveille face à la lumière qui inonde les flancs glacés du Pic Lénine.
Sary Mogol et le Pic Lénine (sur la gauche) au petit matin
Jour 1
Guère de bétail dans les champs de plaine, desséchés par un soleil ardent. Il faut remonter la rivière Sary Mogol sur une piste de terre, en direction de la chaîne montagneuse de Alay, pour croiser les premières bêtes partageant leur herbe avec de nombreuses marmottes. Fin Juin les familles sont au Jailoo, sur les alpages répartis aux pieds des montagnes, au gré de vallées plus ou moins accessibles. Notre piste passe de prairie en prairie, dont l’herbe, pourtant bien verte, ne dépasse guère les quelques centimètres. À peine poussée, elle est broutée par les chevaux, vaches et moutons qui paissent à leur aise. La pente vient buter contre les falaises lorsque notre chauffeur nous dépose à l’exutoire d’une gorge étroite, taillée dans la roche. Nous sommes six touristes occidentaux, deux britanniques, David et Jack, une russo-américaine Eliéna, Sandra, une italienne et deux suisses, Anne et François, guidés par Mammir -Мамыр. Trois porteurs, Aïdar -Айдар, Chingouc -Чингус еt Apich -Апиш nous aident à transporter les affaires pour une semaine de trekking. Ils ont été préférés aux chevaux qui ne peuvent franchir les quelques pentes de neige subsistant sur le parcours.
Montée vers le col de Sary Mogol
En escaliers successifs, le sentier nous achemine vers les 4300 mètres du col de Sary Mogol, effleurant au passage un sommet glaciaire aussi élevé que nos plus hauts sommets alpins. À ses pieds dorment cinq lacs encore partiellement gelés, malgré un soleil plus que généreux.
Le col de Sary Mogol (sur la droite, en bas de l’image) et ses cinq lacs
Au revers du col subsiste une pente de neige: ces neiges kirghizes sans aucune consistance, où l’on enfonce tellement que l’on finit par mouiller sa culotte pour un mode de descente plus efficace. Aux pantalons détrempés succèdent très vite les chaussures, au gré de franchissements plus ou moins aléatoires du torrent bouillonnant dans sa descente. L’humidité accumulée durant la journée finit par nous doucher sous un orage cinglant d’éclairs les cimes environnantes.
Franchissements plus ou moins aléatoires du torrent bouillonnant
Nos accompagnants nous aident à franchir les derniers gués sur des roches détrempées. C’est le moment opportun pour arriver aux yourtes aménagées juste au bon endroit par notre tour opérateur « Visit Alay. » Nous y attend une collation de bienvenue agrémentée de thé vert ou noir, puis une assiette ravigotante de pommes de terre et de viande. Les tables sont évacuées pour faire place aux nattes et aux corps las aspirant au repos, alors que les vêtements détrempés sèchent autour du poële. Le repos ne s’avère que partiel en raison de l’altitude du camp situé à 3600 mètres. Gros programme pour cette première journée!
Jour 2
Le soleil nous accueille à l’heure exacte du départ pour achever notre longue descente vers un village dénommé lui aussi Sary Mogol, mais plus petit, dans la vallée de Kichik Alay.
Descente du Sary Mogol Pass en direction de la vallée de Kichik Alay
Non loin de là une mine de charbon génère un trafic de poids lourds chargés de minerai, qui soulèvent la poussière de la route pourtant régulièrement aspergée d’eau. Un bref transfert en camionnette nous évite le désagrément et nous pouvons bientôt nous abriter du soleil de midi sous une yourte où nous attend un plov ravigotant, de même qu’une douche rafraîchissante. Difficile ensuite de reprendre la marche pour un chemin grimpant quelques 600 mètres jusqu’aux 3215m du col de Kosh Moinok, qui donne accès à la vallée de même nom.
Les yourtes de Kosh Moinok, terre de quiétude absolue
Une belle vallée reculée, inaccessible depuis le bas, où paisse le bétail dans une quiétude totale. De jeunes poulains partagent un herbage abondant avec quelques vaches ainsi que de grasses marmottes rouquines, qui ont dû emprunter leur sifflet aux policiers kirghizes. Deux yourtes sont aménagées au cœur de cet îlot de tranquillité, non loin d’un torrent boueux drainant les sables des vastes éboulis qui pavent le haut du vallon.
Sous un petit toit de bois sont suspendus deux sachets remplis de lait, du Aïran pour que s’en écoule le petit lait. Avec le yaourt ainsi fabriqué, on roulera de grosses boules de fromage salé, dénommées kourout
Sous un petit toit de bois sont suspendus deux sachets remplis de lait, du Aïran pour que s’en écoule le petit lait. Avec le yaourt ainsi fabriqué, on roulera de grosses boules de fromage salé, dénommées kourout, qui sèchent au soleil sur le même toit. Une sorte de féta que le garçon de la famille chargera bientôt sur son âne pour les vendre au marché hebdomadaire de la vallée principale. Des juments ayant allaité leur poulain, on trait le lait restant pour fabriquer le koumiss, boisson légèrement fermentée dans une vessie de brebis ou dans un tonnelet encensé de genévrier. Le koumiss est la boisson estivale préférée des kirghizes qui vous en servent à chacun de votre passage sous une yourte. L’équipe s’égaie autour d’un filet lors d’un match de volleyball, sport que les jeunes kirghizes affectionnent, même les tous jeunes des yourtes voisines.
Sur son âne, le garçon de la famille achemine les produits laitiers pour les vendre au marché hebdomadaire
Jour 3
Genévriers tourmentés par les ans
Difficile de s’extraire de ce bel endroit le lendemain matin, en chemin pour le col de Sary Bel à 3137m d’altitude. Des vaches bien nourries par le fourrage abondant paissent alentour, contrastant avec les nombreuses vaches maigrichonnes que nous avons croisées dans d’autres steppes arides du pays. Ces dernières doivent se contenter d’herbes sèches sur pieds durant tout l’automne et l’hiver. Pour la suite du parcours, le regard plonge sur un relief intriguant de grès arondis, entaillés par la gorge profonde de Hoja-Köl.
La gorge spectaculaire de Hoja-Köl.
Nous ne pouvons emprunter cette gorge pour rejoindre la vallée de Jiptyk-Suu, mais suivons un sentier à flanc de coteau et de pierriers pour détourner l’obstacle et ses rives abruptes. Des têtes rocheuses arrondies par les vents et des arêtes aériennes colorées de gris et d’ocre, arborant de ci et là de beaux genévriers aux troncs tourmentés. Sur une de ces crêtes escarpées, en bordure d’un champ déversant, trône une ferme dont le toit est recouvert d’herbe.
Sur une de ces crêtes escarpées, en bordure d’un champ déversant, trône une ferme dont le toit est recouvert d’herbe (en bas à droite)
On nous dit cette bâtisse centenaire, mais toujours habitée à entendre les sifflets et les cris des enfants qui en émergent. Rares sont les passages en cet endroit spectaculaire et les gosses expriment leur joie de nous voir passer, pourtant au loin. Les vautours de l’Himalaya cerclent les courants ascendants dont nous tentons de nous abriter à l’ombre de genévriers: de très beaux arbres, et non des buissons comme dans les alpes, dont certains s’avèrent plus que centenaires. Au gré de notre descente, les têtes de grès rougeâtre se transforment en de spectaculaires falaises qui nous dominent de leurs fiers escarpements alors que l’autre flanc du vallon se couche en de belles dalles de calcaire gris. Un paysage inédit qui n’a rien à envier au Grand Canyon.
Un paysage qui n’a rien à envier au Grand Canyon
Le vallon nous conduit vers un goulet inévitable, d’où surgit la source vénérée et légendaire de Mazar. Pause dans un sous-bois agréablement ombragé. Non loin de là, le hameau de Oi-Tal héberge dans de typiques maisons quelques hôtes fuyant la torpeur de Osh pour la fraîcheur de la vallée de Jiptuk-Suu. La famille Mamatjakyr nous accueille pour le repas et la nuit dans sa guest-house nouvellement bâtie. Tout comme les autres groupes parcourant régulièrement notre trekking, la randonnée génère des revenus bienvenus dans ces vallées où l’élevage reste l’activité principale. Les bonnes années, ce ne sont pas moins de 600 randonneurs qui effectuent ce treck intitulé « The Best of Alay, » une référence au Kirghizistan.
Au pied de la gorge de Hoja-Köl, le hameau de Oi-Tal héberge de typiques maisons kirghizes
Arrivée au camp de yourtes, dans la montée vers le Jiptyk Pass
Jour 4 Ce sont d’ailleurs des marchands de bétail qui nous dépassent sur la piste remontant la vallée en direction du col encore éloigné de Jiptyk. C’est jour de marché et nous croisons un beau troupeau de yacks que leur berger descend vers le croisement des rivières où auront lieu quelques ventes. Opération non négligeable puisque un yack adulte peut valoir jusqu’à 1500 dollars avant d’être revendu, puis consommé en Ouzbékistan.
Surprise par notre arrivée plus tôt que prévu, Rachia nous prépare à la hâte d’excellents borsoks , petits beignets fris de farine légèrement sucrés « notre fast food » kirghize, précise-t-elle
Un agréable camp de cinq yourtes traditionnelles nous accueille pour un riche repas. Ce n’est décidément pas durant ce treck que nous mourrons de faim. La table est toujours agrémentée de « lepiochkas » le pain kirghize, de crème fraîche, de bonbons et de biscuits, avant que n’arrive le plat principal. Le camp est tenu par Rachia – Рахыя, de la même famille Mamatjakyr qui nous a reçus la nuit dernière. Surprise par notre arrivée plus tôt que prévu, elle nous prépare à la hâte d’excellents borsoks , petits beignets fris de farine légèrement sucrés « notre fast food » kirghize, précise-t-elle. Rachia réside sur place durant tout l’été, alors qu’elle travaille comme cuisinière dans la ville d’Osh durant l’hiver. Elle est aidée par trois jeunes étudiantes venues de Osh, Jarkinaïm -жаркынайым, Elina- Элина et Mavjouda – Мавжуда, futures journalistes à qui elle donne des cours de cuisine, qui profitent des rencontres sous les yourtes pour pratiquer leur anglais. Bien qu’étudiant à l’université, leur professeur ne maîtrise pas du tout la langue, comme cela peut souvent être le cas au Kirghizistan. Leur plov fait d’ailleurs merveille et les échanges sont riches autour de la table: un simple tissu posé au sol autour duquel les convives s’asseyent en tailleur. Les plaisanteries fusent au sujet des bavardages quasi permanents de Eliéna et de Jack, qui entraînent parfois d’autres participants dans leurs interminables discussions. Des « chiachiaronnis » précise Sandra dans une tonalité bien de sa langue italienne. Il est vrai qu’en bavardant le temps passe bien plus vite qu’à rester seul à méditer au lent rythme de ses pas de vieux guide, comme l’auteur de ces lignes…
Nuit paisible
Jour 5
Le lendemain nous voit démarrer de bonne heure car le chemin est long, sur une ancienne route creusée durant l’époque soviétique. L’objectif se situe au-delà des 4185m du col de Jiptyk. On ne manquait pas d’audace, ni de moyens à l’époque! Les seules bêtes qui disputent encore leur herbe aux marmottes sont de superbes yacks noirs, gris ou blancs dont les longs poils ventraux sont les seuls restes des hivers rudes qu’ils doivent vivre sur ces hauteurs. De quoi s’isoler de la neige lorsqu’ils se couchent.
Des yacks proches de 4000m d’altitude
Une dernière pente plus raide nous prépare au panorama grandiose des montagnes du Pamir qui brillent au loin. Leur cerbère, le Pic Lénine, trône encore trois mille mètres au-dessus de nos têtes, à 50 kilomètres d’ici. Il a une signification particulière aux yeux de Anne et de François, déjà occupés à jumeler l’itinéraire de leur toute prochaine expédition. Ce treck leur sert d’ailleurs d’acclimatation. La température est si agréable sur le col que nous y mangeons le repas de midi servi, je vous prie, sur assiettes. Une vallée descend régulièrement jusqu’aux 3000m d’altitude de la vallée d’Alay, située à quelques 15 kilomètres à vol d’oiseau. Mais nous ne marchons pas jusqu’à Sary Mogol aujourd’hui, faisant halte dans un camp de yourtes situées juste derrière un verrou rocheux.
Notre groupe de Trecking et ses guides /porteurs devant la chaîne du Pamir
Repos à l’abri d’une yourte typique
Demain, le groupe se rendra encore au lac de Tulpar Köl, tout proche du camp de base du Pic Lénine. Après un dernier repas en commun, Anne et moi nous séparerons du groupe pour rouler au travers de la plaine de Alay jusqu’au camp de base du Pic Lénine. Une route très poussiéreuse nous acheminera au travers de la steppe aride, dans laquelle aucun arbre ni buisson ne se hasarde à hisser ses branches au-dessus de l’horizon. Enfin une yourte entourée de silhouettes noires osera se hisser au-dessus du sol uniforme. Quelle ténacité pour vivre en un lieu aussi austère, balayé par des tourbillons de poussière! Petit à petit d’autres camps apparaîtront et l’herbe se fera plus verte. 50 kilomètres de piste poussiéreuse nous demanderont plus de deux heures de conduite attentive, avant que l’air ne s’éclaircisse à nouveau, dévoilant notre objectif de ces deux prochaines semaines: le Pic Lénine et ses 7134m de roc, de neige et de glace. Il obstrue avec puissance tout notre champ de vision en direction du Sud. Bienvenue dans le royaume glacé du Pamir… Une aventure à suivre…
Camp de base du Pic Lénine (situé au fond à droite)
Les étendues kirghizes ne se dévoilent qu’aux voyageurs curieux… et persévérants. Ne vous fiez pas à ces traitillés rouges ou noirs sur les quelques cartes topographiques disponibles. Ils ne signifient de loin pas que vous y trouverez une route, même de terre, tout au plus une piste dessinée depuis fort longtemps par le passage répété des troupeaux et de leurs bergers à cheval. Et gardez bien en tête l’échelle de votre carte! On est loin du 25’000e disponible dans les alpes. Tout au plus trouverez-vous une carte au 100’000e où un petit centimètre signifie déjà un kilomètre! Et où les noms de lieux sont indiqués en russe, voire en kirghize. De plus, rares sont les cartes qui vous indiquent la nature du terrain… Tout dépend de la saison à laquelle vous arpentez ces pistes.
Col de Seok, situé à 4000m
Début mars, je fais route avec Bastien Chaix, un accompagnateur de l’organisation non gouvernementale OSI-Panthera, ainsi que Talant, un guide local. L’ONG « Objectif Sciences International » met sur pieds un programme de recherche participative et d’éducation aux sciences. Il s’agit d’expéditions de deux à cinq semaines ayant principalement pour but la récolte d’indices de présence d’espèces rares: des poils, crottes, grattages ou carcasses, des fichiers de pièges photographiques placés en des endroits judicieux. En hiver Bastien met sur pieds ses propres séjours d’observation et de photographie animalière, diffusés par Amarok, esprit nature, au nom de sa structure Wildlife Expeditions Kyrgyzstan. La chance aidant, les participants peuvent observer des bêtes sauvages telles que le loup, l’ours ou la panthère des neiges. Mais il ne s’agit pas de vacances pour touristes, plutôt de voyages d’imprégnations dans les milieux sauvages. On y loge souvent chez l’habitant, ce qui a l’avantage de permettre une meilleure compréhension des exigences de la vie de berger. Tous férus d’observation animalière, les participants se rendent aux confins des réserves naturelles de Shamshi, Sarytach-Ertash ou de Naryn, sous la conduite experte d’un coordinateur ainsi que de guides locaux ou de gardes des réserves. Les zones traversées sont très sauvages, hébergeant juste quelques troupeaux de moutons ou de yacks dans les zones périphériques, intégrales dans leur zone centrale. En été, les longs déplacements se font à dos de cheval et les nuits se font sous tente. Alors qu’en hiver…
Traversée d’un torrent gelé, usuelle sur le haut plateau
Pour nous rendre en bordure Est de la réserve de Naryn, au départ d’Issyk Köl nous franchissons le col de Seok, en limite des 4000m d’altitude, puis descendons le long de la rivière Naryn sur une piste de la steppe. La Chine est à peine à une cinquantaine de kilomètres. Il fait froid sur ce haut plateau, mais les précipitations y sont rares. Aussi quelques bergers y vivent-ils à l’année avec leur troupeaux de yacks, leurs chevaux mi-sauvages et leurs moutons. Nous laissons mon véhicule dans une bergerie. C’est certes un 4×4, mais trop bas pour être un vrai tous-terrains. Nous ne partons qu’après avoir partagé une bouteille de vodka avec le berger. Une bouteille entière, car les kirghizes n’abandonnent jamais de bouteille à moitié pleine. Faudrait-il du courage pour aborder la suite du chemin? En observant Bastien s’abstenir de vodka, c’est bien ce que je pense.
Yack sur la berge de la rivière Naryn, haut plateau kirghize
Du moins faut-il garder la tête froide. Quasiment à l’étiage, la rivière Naryn charrie de belles quantité d’eau, bordée de plusieurs couches de glace de tout son long. Lorsque je demande au paysan s’il peut la traverser avec ses bêtes en été, il répond par la négative, citant même l’accident d’un véhicule emporté par le fleuve. Ceci pour l’ambiance. Avec son bétail, il recherche les versants exposés au Sud, où l’herbe, brune et rare, n’est pas recouverte de neige, ni de glace. En amont de sa ferme coule un torrent, enfin… coule: s’étale une vaste coulée de glace que des aventuriers occidentaux dévaleraient volontiers sur leur engin de patinage ou autre moyen à la recherche d’exploit. Nous l’avons traversée grâce à un replat, et à de bons pneumatiques.
Rivière Naryn, le long de la route d’accès à la vallée de Ullan
Notre piste longe la rive droite de la rivière Naryn, jusqu’à un pont. Mêmes ces derniers peuvent s’avérer pernicieux. De gros rondins de bois sont souvent assemblés en laissant de gros interstices, masqués par la neige. Guère plus larges qu’un véhicule, le moindre dérapage est susceptible de faire monter les tours, non du moteur, mais de votre coeur! Nous ne franchissons pas celui-là: il y a trop de neige dans les revers de l’autre rive. En lieu et place commence une piste déformée par le gel, qu’il faut remonter parfois au pas si l’on ne veut pas défoncer sa machine. Une voiture que Bastien inspecte à chaque arrêt. C’est soudain l’avarie, lorsque ses freins ne répondent plus normalement. Le conduit métallique d’amenée d’huile a été fendu par un obstacle. Bastien appelle Talant à la radio, son comparse kirghize qui ouvre la route avec un 4×4 surélevé. De retour, il sort une caisse d’outils du coffre, avec tuyaux et quelques pièces de rechange. Finalement ils condamnent le conduit: on se contentera de trois freins pour la suite. Une bonne leçon pour moi: mieux vaut être équipé pour s’aventurer sur un haut-plateau kirghize.
En hiver, les grandes rivières telles que la Naryn recèlent autant de pièges que de couches de glaces séparées par de dangereux interstices d’air. On ne peut traverser de telles étendues de glace en véhicule qu’en étant sûr de son affaire! Ce que nous faisons après que les deux chauffeurs aient sondé la couche de glace avec une lourde barre à mines. Quelques congères et pierriers à traverser et nous voilà chez Ullan, berger de la vallée qui porte son nom, à l’Est de la réserve naturelle de Naryn. Un arrêt s’impose.
Bergerie de Ullan, dans la vallée de même nom
L’hospitalité kirghize se vérifie à nouveau autour d’un thé chaud et d’un borsh de pâtes et de viande de mouton. On profite pour échanger les dernières nouvelles. Il y a quelque temps, Bastien est venu passer dix jours dans la vallée avec les quatre membres de son expédition hivernale de Wildlife Expeditions Kyrgyzstan. Ils ont logé dans deux yourtes situées plus haut dans la vallée, qu’un lourd camion Kamov a transportées sur place. Grâce à un fourneau chauffé au charbon et au fumier séché, la yourte s’avère rapidement agréable. En restant dix jours sur place et en arpentant les alentours, Bastien et les éco-volontaires ont vu des argalis et même une panthère des neiges à trois reprises, ainsi que des loups sur une crête lointaine. Ceux qui ont dû attaquer le troupeau de moutons de Ullan, la semaine dernière. Nous découvrons les premiers bouquetins sur les pentes d’en face, et Bastien m’assure que je trouverai des argalis le lendemain.
Yourtes installées pour le séjour hivernal d’observation animalière Wildlife Expeditions Kyrgyzstan/Amarok
Alors que mes comparses démontent les yourtes et les transportent à l’abri d’une cabane des gardes située plus bas dans la vallée, je profite de cette escapade en terres réellement sauvages pour observer un gros troupeau d’argalis… de loin. Au Kirghizistan, les bêtes ne se laissent observer qu’à grande distance, rendues craintives par les prédateurs et, vraisemblablement, quelques braconniers. Un couple d’aigle s’adonne à ses ébats dans le ciel devenu blanchâtre. Alors que le lendemain nous reprenons la piste du retour, je me dis qu’il faut vraiment être motivé pour venir installer sa yourte, aussi loin en plein hiver. Et je n’ai que l’envie d’y retourner.
Troupeau d’argalis dans la réserve naturelle de Naryn
Panthères frère et/ou soeur faisant le guet au-dessus de leur proie
Animal insaisissable, il règne sur la montagne kirghize sans que personne ne puisse le voir. Tel un fantôme, un mythe presque, s’il n’y avait les pièges photos et les superbes images réalisées par Frédéric Larrey et Vincent Munier pour attester de sa réalité. La panthère des neiges! Mais ces images viennent du Tibet, d’Inde, du Népal voir du Kazakhstan, jamais du Kirghizstan.
Une première fois, au printemps, j’avais entendu au loin son étrange râle sans réaliser de quoi il s’agissait. Quelques jours plus tard je suivais une piste aux traces encore indéterminées. Jusqu’à ce 26 février où, alors que je remontais le cours d’un torrent, je tombais nez à nez sur un animal qui tirait hors de l’eau de ses puissants crocs une chèvre bouquetin qu’il venait de capturer. Le félin a immédiatement abandonné sa proie et disparu avant que je ne puisse mettre un nom sur ma vision. Je retrouvais la panthère le lendemain à l’aube, mais elle s’enfuit à nouveau alors que je venais de la repérer à la jumelle, à plus de 100 mètres. Apparitions furtives. L’affût de la carcasse, trop proche, n’avait rien donné, si ce n’est une multitude de pies, de corbeaux et même des vautours de l’Himalaya attirés par les restes. Il me fallait un piège-photo! Depuis ce jour, l’insaisissable occupe chacune de mes sorties dans ces vallons escarpés.
Elle s’est à nouveau faite entendre fin mars, au retour d’un affût à l’aire du gypaète. L’appel d’une femelle à la période du rut, puis-je lire dans les ouvrages spécialisés. Enfin doté de mon propre piège photographique, à la mi juillet j’en repère, une, posant une crotte sur une crête juste devant ma caméra nocturne. Il y a bien une panthère établie à Ala Archa! Il fallait absolument que je la photographie, et que je la filme! Le puzzle se construit depuis, patiemment, au gré d’une trace glanée ici à l’occasion d’une chute de neige, de crottes blanchies trouvées sur une arête, d’une carcasse de poulain dévorée à 3500 mètre d’altitude. Chaque concentration de vautours capte mon attention, je scrute inlassablement les flancs et les arêtes, sans vraiment savoir où établir mon affût, tant la montagne est vaste. Sans succès. La bête suit son frigo, me dis-je, l’abondant troupeau de bouquetins qui, lui, a ses habitudes et me force à de longues marches d’approche. Sans plus de succès. Combien de fois suis-je rentré bredouille? À en perdre la patience mais pas la foi. « Ellusive » telle que la qualifient les anglophones: animal d’une discrétion absolue. Ne se déplacerait-il que de nuit? Je plante ma tente sur une arête et passe de longues journées d’affût… sans vraiment savoir où regarder. Combien de fois la bête m’a-t-elle observé de son rocher perché? Sans que bien sûr je n’aie de chance de la découvrir. Beige tachetée de noir, rocher parmi les rochers: comment la découvrir si elle ne se déplace pas? Peut-être que, moi aussi, je me déplace trop, trahissant ma présence répétée? L’affût n’est pas ma spécialité, surtout sans savoir où regarder.
Au retour de l’hiver, la neige et une forte concentration de traces me redonne espoir. Un jour, nous découvrons de loin une étrange traînée dans la poudreuse. Trois traces, vraisemblablement, s’étaient amusées à glisser et sauter dans la pente. La piste suivait une crête. La bête a su me dérouter un autre jour, par cette carcasse de bouquetins découverte au gré d’une autre glissade, mortelle celle-là, sur un haut pierrier. Presque à l’opposé d’où je l’attendais. Jusqu’à ce jour où, prudent, j’épie le coteau sans me montrer. Un coteau où les bouquetins descendent parfois en hiver. Sur un roc, je vois une tâche grise, étonnante, que je ne parviens pas à interpréter avec mes jumelles. Ma caméra cinéma peut zoomer jusqu’à 8 fois, soit un facteur d’agrandissement de 80 avec le téléobjectif: je découvre deux panthères au travers du viseur, qui semblent paresser sur leur bloc. Première séquence filmée. Elles ne s’attardent pas mais un tourbillon de pies et de corbeaux attire mon attention sur ce qui s’avère être la carcasse d’un beau mâle bouquetin, âgé d’une bonne dizaine d’années. C’est sur elle que veillaient les panthères. Il reste beaucoup de viande sur la carcasse. Je remonte chercher mon piège photo et le place à proximité. Affût le lendemain, sans succès, mais le piège a joué son rôle et capturé de belles séquences de nourrissage. Elles sont trois, une mère et deux « petits », ces derniers atteignant déjà leur taille d’adulte et disputent âprement la proie à leur mère. Leurs crocs sont puissants, leur appétit vorace, jusqu’à ce qu’il ne reste que la peau et les os de leur repas. Les vautours ne verront pas la carcasse habilement dissimulée sous les taillis.
La panthère des neiges: affaire à suivre, je l’espère…
Une jeune panthère dispute âprement une proie à sa mère
D’apparence vétuste, les moulins de Ouzgen sont opérationnels grâce à l’habileté manuelle des Kirghizes
La campagne arbore les bruns automnaux, les dernières récoltes de pommes de terre touchent à leur fin. Ouzgen, au Sud du Kirghizistan, est réputée pour son riz, utilisé notamment dans la confection du plov. Le riz a été récolté fin septembre, séparé de ses tiges par les agriculteurs qui l’amènent aux moulins pour le battre, le séparer de son enveloppe et le tamiser. D’apparence vétuste, mais diablement opérationnels grâce à l’habileté manuelle des kirghizes, les moulins sont actionnés par des roues à aubes, dont la force est transmise aux marteaux par un astucieux jeu de sangles, de chaînes et de roues démultiplicatrices.
Une première étape tamise le riz grossier puis sépare les grains de leur enveloppe. Il en ressort des grains jaunâtres qui sont déposés dans l’installation de battage, actionnée par une autre roue à aubes. On y ajoute des pigments colorés pour que tous les grains aient une couleur uniforme. Le grain est ensuite à nouveau tamisé pour obtenir sa couleur rouge foncé-noir caractéristique. Il est alors prêt à la consommation.
Les marteaux de battage fonctionnent en permanence pour séparer le riz de son enveloppe
Le moulin traite une tonne deux à trois cent kilos par jour pour une quantité totale de plus de trente tonnes, durant les deux mois d’exploitation automnale. Le producteur peut choisir de payer le travail ou de laisser une partie de sa récolte à titre de rétribution.
Le riz d’Ouzgen est réputé, il entre dans la confection du Plov, riz mêlé de carottes jaunes, de viande de mouton rôtie et de divers ingrédients.
Cela fait déjà trois mois que dure la sécheresse de cet été qui se prolonge. Les branchages ont pâli, le vert devant partager sa place avec le jaunâtre et le rougeâtre de l’automne. Les innombrables petites pommes sauvages tombent une à une, dans l’indifférence des vaches et des chevaux qui s’abritent de la chaleur omniprésente. Les bêtes sont des centaines à glâner çi et là quelque touffe d’herbe encore verte. Il règne une langueur que l’on qualifierait de monotone si la vie ne fourmillait pas sous le couvert des forêts.
Arslanbob est une localité de 13’000 habitants située au pied du massif calacaire de Babash Ata
De leur hauteur majestueuse qui couvre la forêt d’ombre rafraîchissante, les noyers bombardent de temps à autres le sol de noix enveloppées de cerneau vert. Ces arbres immenses abondent dans le bois, les uns finement élancés, les autres joufflus de loupes généreuses, voire partiellement brisés sous le poids des ans. L’atmosphère est bien plus agréable dans le bois de troncs ridés. Il est parcouru de pistes en terre qui se faufilent entre des enclos délimités par des barrières. Celles-ci sont bricolées de fils de fer tendus entre des branches plantées dans le sol.
En route pour la récolte de noix dans la forêt de noyers d’Arslanbob
Un sac en bandoulière, de nombreuses femmes et enfants se promènent sans but apparent au sein des enclos, les yeux rivés au sol recouvert de feuilles mortes. D’une baguette ils déplacent les amas de feuilles et se baissent de temps à autre pour ramasser quelques noix. Les familles ont dressé une tente dans leur champ non loin de là. Et de rajouter une branche morte au fagot rassemblé sous leur bras, qui servira à alimenter le petit fourneau de fonte dans un coin de l’abri rudimentaire. D’épais tapis recouvrant le sol, quelques carrés militaires russes soutenus par des perches de bois, le tout recouvert d’un plastique car la pluie, pour sûr, finira par venir.
Un abri rudimentaire pour un mois passé dans la forêt
Le séjour des ramasseurs de noix dure plusieurs semaines chaque automne. Pensez donc ! Un noyer peut donner jusqu’à cent kilos de noix, qui sont vendues 70 Soms le kilo, soit 80 de nos centimes. Une aubaine pour les enfants qui troquent la récolte du jour sur un stand de gourmandises monté au carrefour des pistes forestières. Une industrie dans un pays pauvre tel que le Kirghizstan. La cité d’Arlansbob héberge treize mille personnes qui, presque toutes, profitent de cette manne naturelle. Chaque jour le même manège se répète, les vieux sacs militaires russes se remplissent puis se vendent ou s’échangent contre une robe ou une paire de pantalons dans un des magasins situés en lisière de forêt.
Au pied d’un noyer majestueux rôde une petite silhouette coiffée d’un foulard brodé de fil doré. Tadjihan arrache quelques fragments de l’écorce rugueuse. Ses mains ridées retiennent le combustible en vue du mauvais temps qui s’annonce.
Tadjihan, 87 ans, loge chaque automne dans la forêt d’Arslanbob. Depuis 25 ans
On ne la lui fait pas, à Tadjihan. Cela fait 25 ans qu’elle passe plusieurs semaines chaque automne dans ce champ ! Une période qu’elle apprécie particulièrement, sous le couvert d’arbres protecteurs qui lui fournissent la sagesses de ses 87 ans. Pourtant, un de ces géants lui a pris son fils, tombé alors qu’il grimpait haut le long du tronc pour en secouer les fruits. À quelques pas de là, les deux petits enfants de Tadjihan récoltent de précieuses noix. C’est jour d’école aujourd’hui mais le temps pluvieux a convaincu leur grand-maman de ne pas les envoyer à l’école, à une heure de marche depuis son champ. La pluie fait tomber les noix et il faut être là à temps pour leur récolte. Les enfants iront bientôt troquer leur récolte contre quelque nourriture au stand de la forêt. Invités sous sa petite tente, nous demandons à Tadjihan la recette de sa longue vie. Elle cite une bonne nourriture, puis nous parle de l’énergie dont elle a fait preuve tout au long de son existence, en particulier lors de nombreuses années passées au service forestier. Une activité qui lui a valu un champ de deux bons hectares au cœur de la forêt, pas trop loin du village qu’était alors Arslanbob. Mariée à l’âge de quinze ans, Tadjihan à eu deux filles et deux garçon, dont l’un est mort ici-même il y a deux ans. Une des filles occupe le campement voisin avec sa famille. Lorsque Hayat, notre guide, lui demande quelle a été la période la plus heureuse de sa vie, elle n’hésite pas et répond que toute sa vie l’a été…
Les petits enfants de Tadjihan n’iront pas à l’école aujourd’hui: il pourrait pleuvoir, ce qui provoquerait la chute de nombreuses noix (photo A. Moulin)
Hayat s’occupe de l’antenne locale du Community Based Travel, le CBT, une organisation lancée il n’y a pas loin de trente ans dans tout le pays avec l’appui d’Helvetas. Jadis ranger dans cette forêt de son village natal, son oncle a créé une pépinière de noyers pour en garantir la pérennité Hayat est à même de donner l’âge des diverses plantations que nous croisons en chemin. Menacée lors du retrait de l’union soviétique car vendue au plus offrant, lui et quelques gens du lieu ont fait en sorte que la forêt soit cédée par parcelles pour une durée de 49 ans aux habitants du lieu. Il nous emmène voir le noyer millénaire conservé au centre de la cité qu’il chérit, puis un meunier dont les trois moulins fabriquent de la farine de maïs pour le bétail et de la précieuse huile de noix pressée à froid. Une richesse de plus pour la collectivité qui vient ici faire moudre son grain, sans devoir payer le travail mais en y laissant une partie de la farine au meunier, à titre de salaire.
Les troncs des noyers anciens développent de grosses excroissances, dites loupes, qui alimentent quelques anecdotes. Scié à même le tronc sans en affecter la croissance, leur bois de fort bel aspect sert à la décoration de meubles de valeur. Sur la demande de Churchill, Staline aurait envoyé un millier de soldats chargés de scier ces précieuses loupes, embarquées ensuite sur le train à destination de l’usine Roll’s Royce en Grande Bretagne. En échange le royaume uni aurait fourni de nombreuses armes au dictateur. Une preuve supplémentaire de la valeur des noyers d’Arslanbob.
Au hasard de mes randonnées kirghizes, il m’a été donné de découvrir un couple de gypaètes couvant au nid. Six mois durant, j’ai ainsi pu assister à toute la croissance d’un gypaète juvénile, jusqu’à son envol du nid le 9 juillet dernier. Suivez dès demain mes posts sur Instagram, ils relatent toutes les étapes de cette expérience inédite.
Après quatre mois de croissance passés au nid, “Neige” en décolle le 9 juillet 2021
À une petite heure de route de la capitale Bishkek, le parc national de Ala Archa compte une faune abondante et diversifiée. Tout randonneur s’éloignant un peu de la vallée centrale peut y croiser des bouquetins réunis en de riches troupeaux et des sangliers sur des pentes qui culminent à 4600 mètres d’altitude. Elles sont survolées par de nombreuses sortes d’oiseaux, pies, corbeaux, craves à bec rouge, faucons, aigles, vautours de l’Himalaya et, les plus grands voiliers de tous, les gypaètes qui trouvent toutes les carcasses nécessaires à leur approvisionnement. Il faut beaucoup de chance par contre pour croiser le lynx dans de rares forêts, et encore plus, le loup ou l’élusive panthère des neiges.
De nombreux bouquetins
Dans le parc de Ala Archa, il n’est pas rare d’observer un troupeau de plus de 100 bouquetins de Sibérie
Ma première découverte des bouquetins d’Ala Archa est similaire aux rencontres que l’on peut faire dans les Alpes, quelques mâles paissant à petite distance du chemin d’une cabane. Ma seconde, par contre, est inédite. Occupé à scruter les pentes recouvertes par une végétation éparse, je crois découvrir un troupeau de moutons… en octobre. Étrange… À l’examen, certaines bêtes du nombreux troupeau s’avèrent arborer de belles cornes. À distance, je ne puis compter les bouquetins, mâles comme femelles, jeunes comme vieux. D’un peu plus près, j’évalue le troupeau à cent cinquante bêtes! De quoi éveiller ma curiosité et y retourner régulièrement. Très grégaire, le bouquetin de Sibérie se réunit en un immense troupeau à l’approche du rut. Il se distingue du bouquetin des Alpes par une barbe longue et touffue, que les femelles arborent plus discrètement. Au contraire des Alpes, il prend la fuite à grande distance des humains. Rien d’étonnant, le sachant chassé par la discrète et farouche panthère des neiges.
Une découverte inédite
Un couple de gypaètes atterrit régulièrement dans la même falaise
Occupé à tracer les bouquetins dans d’abruptes pentes, je découvre à mi-décembre un couple de gypaètes volant ensemble et atterrissant régulièrement au même endroit. Le nid qu’ils visitent est bien placé, dans une falaise à l’abri de tous prédateurs non ailés. Je me documente sur cette espèce et suis heureux de les voir survoler ce vaste territoire. Familiarisé depuis avec l’abondant troupeau de bouquetins, je m’approche de l’aire à la mi-janvier pour y découvrir un adulte couché. Mon point d’observation est idéal, discret, situé dans un vallon en face de la falaise, à quelques deux cent mètres de distance. Le gypaète serait-il en train de couver un oeuf? C’est le début d’une longue série d’affûts qui me verra remonter sur ce poste quelques cinquante fois sur six mois,
Une longue couvaison
Quel que soit le temps, l’adulte couve impassiblement son oeuf à l’aire
Selon la littérature spécialisée, les adultes se relaient pour couver un ou deux oeufs durant cinquante cinq jours. J’ignore quand a eu lieu la ponte et remonte régulièrement, osant désormais me montrer, car les gypaètes ne semblent pas affectés par ma présence. Les approches me valent de nombreuses rencontres avec les bouquetins ou les sangliers défonçant le terrain de leur museau puissant. Qu’il neige ou qu’il vente, un des adultes reste couché au nid, relevé de manière irrégulière par son conjoint. Parfois, l’adulte se détend les ailes en profitant des vents, sans jamais s’éloigner du nid qu’il survole en voltes attentives. Maîtrisant son vol de manière experte, il fait même mine de s’y poser parfois, suspendu au-dessus du nid en un instant de surveillance. Le 19 mars, j’observe un comportement inhabituel sur l’aire. Debout, l’adulte penche souvent la tête entre ses serres pour donner ce qui pourraient être de petits coups de becs. Le lendemain j’y découvre une petite tête qui quémande de la nourriture. Compte tenu de l’ambiance environnante, je l’appelle « Neige. »
Une croissance encore plus longue
Nourrissage attentif du gypaéton ” Neige ” sur l’aire
Durant près de quatre mois, le gypaéton va atteindre son imposante taille d’adulte sous la surveillance de ses parents. Au début, en présence permanente au nid, ils alimentent l’oisillon par de petites bouchées de tendons ou de viande qu’ils arrachent énergiquement de leur bec crochu aux portions de carcasse ramenées à l’aire. Par encore d’os pour « Neige » qui ne doit pas avoir de sucs gastriques en suffisance. Petit, ils le protègent du froid en le couvant attentivement entre les pattes. Progressivement recouvert des poils arrachés aux proies, le nid s’avère confortable, trop chaud même lorsque au matin les rayons du soleil l’irradient de plein fouet. Gypaéton se réfugie alors de lui-même à l’ombre de ses parents. Ceux-ci alternent la garde, bien que la femelle, reconnaissable à son cou plus coloré d’ocre, soit présente plus fréquemment. Le mâle apporte régulièrement de la nourriture, sans jamais rester trop longtemps au nid. Lorsque c’est son tour de garde, il s’envole même pour de longues séances de vol dans les vents ascendants. Avec le temps, gypaéton est abandonné de plus en plus souvent sur l’aire par ses parents. L’un d’entre eux ne s’éloigne cependant jamais trop loin, posté sur une falaise surplombante. J’assiste même à la défense aérienne contre un aigle juvénile qui s’aventure trop près de l’aire, le deuxième adulte volant au secours du premier. Pies, faucons et craves à bec rouge sont toutefois tolérés à proximité du nid, de par leur taille moins menaçante. De longues semaines se déroulent ainsi, sous la neige, au soleil ou au vent. Recouvert d’un duvet gris, l’oisillon gagne rapidement en taille, se dresse progressivement sur ses serres et s’essaie à ronger des restes d’os. De petites taches noires apparaissent à l’attache de ses plumes d’ailes. Longuement prostré sous l’ardeur du soleil, « Neige » parvient à se nourrir de lui-même, lorsque nourriture il y a, bien entendu.
Le gypaète chasse un jeune aigle qui s’est aventuré trop proche de l’aire de gypaéton
Le jour de l’envol
Peu de temps avant l’envol, Gypaéton est entièrement noir, à l’exception d’un lozange de plumes blanche au sommet du dos
Je dois m’absenter durant un mois et suis pressé à mon retour, début juillet, de voir si le gypaéton est encore fidèle au poste. La littérature spécialisée donne un délai de 110 à 130 jours entre l’éclosion et l’envol du nid. Le 6 juillet, « Neige » est au nid, ne montrant absolument aucune velléité d’envol. Il est devenu complètement noir, à l’exception d’un losange de plumes blanche sur le haut du dos et grises autour du cou. Cerclé de rouge, son regard est devenu perçant, son bec toujours aussi crochu. Un adulte lui apporte même de quoi manger à sa faim. Je décide de passer la nuit à proximité de l’aire, car le gypaète juvénile se montre plus actif dès le lever du jour, sa falaise étant de suite inondée de soleil. Bien m’en prend. Le 9 juillet, « Neige » se hasarde au bord du nid, ouvre une aile, puis l’autre, hésite et soudain prend l’air sans crier gare, pour un vol de quelques centaines de mètres jusqu’à un pierrier voisin. (Une vidéo de l’envol sera postée sur mon compte Instagram.) Posté sur un gros bloc, il bat farouchement des ailes avant de s’envoler vers un nouveau promontoire. Il y a 114 jours qu’il est sorti de son oeuf. Après quatre mois écoulés avec patience sur une portion de replat au milieu d’une falaise, à observer ce qui vole alentours… il peut enfin de lui-même arpenter le territoire avec ses deux mètre quatre vingt d’envergure. Je remonte les jours suivants, espérant voir « Neige » passer la nuit au nid, mais sans succès. Sous une pluie fine, je le découvre un jour perché sur un rocher avec un des adultes également posé un peu en-dessous de lui. Un autre jour, ils sont tous les trois en train d’enrouler le même courant thermique. L’apprentissage se poursuit et gypaéton est sous bonne garde. « Neige » retournera-t-il au nid? S’il est toujours sous la surveillance de ses parents et encore nourri par leur soins, il n’en a plus besoin. Pour moi, c’est la fin d’une aventure animalière exceptionnelle. Il faudra de la chance désormais pour que je voie « Neige » me survoler de près.
Deux jours après son premier vol, ” Neige ” plane en-dessous de son aire
En Europe on va à la montagne. Où que l’on soit au Kirghizistan, on est en montagne et l’on part à la rencontre de montagnards. Invitation à venir découvriren ma compagnie les joyaux de ce pays insolite: éventail de possibilités, à façonner à votre guise.
90% du pays se situent à plus de 1500 mètres, sur une superficie cinq à six fois supérieure à celle des Alpes Suisses. Après de longues journées de marche, alors que l’on se croit dans un isolement absolu, surgit de nulle part un berger sur sa monture, accompagnant un troupeau de plusieurs centaines de moutons. Vaste et fascinant pays que je parcours depuis deux ans. Je suis donc en mesure de concocter un programme dévoilant ce pays insolite, sa culture nomade et ses habitants chaleureux.
La randonnée kirghize
Randonnée à pieds ou à cheval: une garantie de solitude et de tranquillité
Visant telle protubérance que l’on souhaite être un sommet, après des heures de marche on arrive…nulle part! Une autre protubérance prolonge l’arête sur laquelle on évolue, puis un sommet et encore un autre sommet. On s’égare facilement dans ce relief où rien ne ressemble plus à un col qu’une autre dépression. Alors que vous êtes en pleine interrogation, surgit de nulle part un berger sur son cheval. Après s’être enquis de votre nom, âge, pays d’origine, travail, salaire et du prix de la montre que vous portez au poignet – au Kirghizistan on ne se contente guère d’un seul « bonjour, ça va? » – il vous accompagne volontiers jusque au passage convoité, non sans vous avoir demandé du haut de sa monture pourquoi vous cheminez à pied. Et notre cavalier de se perdre à nouveau dans le décor. Au Kirghizistan, rares en effet sont les randonneurs à pieds qui soient kirghizes. Une garantie de tranquillité sur les chemins. Distances et état des routes obligent, faire de la randonnée dans ce pays n’a pas son pareil dans nos alpes. À de très rares exceptions près, pas de gîtes ni de cabanes. Si on a l’ambition d’un haut sommet, le bivouac et le gros sac s’imposent, ou alors la nuit chez l’habitant.
Le sens de l’accueil
Les Kirghizes, à l’exemple de Maeder, vous accueillent volontiers sur leur propre Jailoo
Les Kirghizes ont le sens inné de l’accueil. Vous leur faites un honneur que d’accepter leur invitation à séjourner chez eux, sous la yourte si vous êtes sur l’alpage ou dans leur maison familiale au village…une fois les troubles liés au covid apaisés. Si vous passez près d’une yourte, ne serait-ce que pour vous enquérir du chemin, il vous incombe de faire honneur à votre hôte en y entrant – déchaussé – au moins pour y boire un bol de Kummis, le lait de jument fermenté qu’en été on conserve en permanence dans une panse de brebis. La table est un lieu de socialisation incontournable. À condition de pouvoir converser! Dans la campagne, les kirghizes ne parlent que le Kirghize, langue turcophone et gutturale, le russe pour les personnes plus âgées. D’où l’importance de se faire accompagner par un guide-interprète. Plus de détails sur mon blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/09/23/hospitalite-en-terre-kirghize/
Un tourisme sportif mais aussi culturel
Transhumance à dos de cheval dans les vastes étendues kirghizes
Au Kirghizistan le tourisme intéressant se veut sportif d’une part, composé de trecks à dos de cheval ou à pieds, de nuits sous yourte ou sous tente pour découvrir les lacs d’Issyk Köl, de Song Köl, de Köl Cyy ou d’Ala Köl, les site géologiques incroyablement colorés des canyons de Fairy Tale, de Mars ou de Konortchok ainsi que les sources d’eau thermales d’Altyn Arashan. Pour n’en citer que quelques uns…Et si vous disposez de temps au printemps ou à l’automne, une transhumance en compagnie de bergers avec leur troupeau de moutons, de vaches et de chevaux peut transformer votre séjour en une expérience authentique, en immersion dans la culture des nomades kirghizes. (Blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/10/21/en-transhumance/.) Mais toute visite exhaustive se doit d’aborder la culture de ces peuples jadis nomades, aujourd’hui transhumants: visites au caravansérail de Tash Rabat, haut lieu de l’historique route de la Soie, aux sites historiques de la Tour de Burana ou de Manas Ordo – le mausolée consacré à Manas, le maître spirituel de la nation kirghize – ou les milliers de pétroglyphes de Saimaluu Tash – une découverte hautement recommandable, haut lieu de l’histoire d’Asie centrale. La capitale Bishkek recèle des joyaux de l’ancienne architecture soviétique et à une heure de route le parc national d’Ala Archa dissimule d’énormes troupeaux de bouquetins, les vols sauvages de condors ou de gypaètes et, encore plus discrète, l’élusive panthère des neiges. Sans oublier les visites aux coopératives d’artisanat local, fabrication de tapis de feutre de Koshkor, mines plus ou moins discrètes ou chasse à l’aigle sur la rive Sud d’Issyk Köl.
Suit le bref descriptif de quelques hauts lieux kirghizes, en partie décrits plus en détails dans divers posts de ce blog. Tout voyage dans ce pays insolite s’assemble en un patchwork qui dépend du temps disponible, compte tenu des grandes distances à parcourir. Une certaine retenue s’impose toutefois: il n’existe aucun secours organisé au Kirghizistan, surtout pas héliporté. Il convient dans ce pays de garder une marge de sécurité suffisante dans le choix de ses projets, en fonction de ses compétences. Je me ferais un plaisir de vous proposer un programme sûr et alléchant, en fonction de vos goûts et de vos disponibilités. N’hésitez pas à me contacter à l’adresse-mail frperraudin@netplus.ch
Le lac d’Ysyk-Köl
Le plus grand lac d’Asie centrale avec le canyon de Fairy Tale au premier plan
Situé à 3520m d’altitude, le lac de Ala Köl au coucher du soleil
Au départ de Karakol, situé à l’Est de Ysyk Köl, deux jours de marche avec nuit sous tente permettent d’accéder au magnifique lac d’Ala Köl, petit joyau émeraude au sein de hauts sommets. Ce chemin connu est relativement fréquenté, ce qui au Kirghizistan peut vous faire rencontrer une vingtaine de personnes en pleine saison, au grand maximum! Le troisième jour, le sentier de caillasse du col débouche sur la vallée et les sources thermales de Altyn Arashan. Descendre en taxi de cet alpage est un vrai parcours du combattant.
La descente de la vallée de Altyn Arashan en taxi a de quoi vous remuer!
Le lac Song Köl
Un Jailoo (alpage) idéal, devenu un haut lieu du tourisme estival Kirghize
Les familles des vallées voisines montent y passer tous les beaux mois de l’année avec leur bétail, malgré l’altitude du lac de 3016 mètres. Il vaut la peine de séjourner quelques jours dans un de ces camps de yourtes pour s’initier à la vie des nomades lorsque ils sont au Jailoo, à leur manière de faire le Kummis, d’apprêter les poissons du lac ou de préparer le succulent « plov » à base de riz et de viande d’agneau. (Blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/09/06/lalpage-sur-les-rives-du-lac-bleu/)
Initiation à la fabrication du beurre
Les pétroglyphes de Saimaluu Tash
Des milliers de pétroglyphes illustrent des scènes de chasse et de pâture vieilles de plusieurs millénaires
Véritable joyau de la culture d’Asie centrale, les milliers de pétroglyphes que dévoilent les pierriers de basalte de Saimaluu Tash valent de loin le déplacement de Kazarman. Une route pittoresque vous y conduit au travers de formations géologiques impressionnantes qui bordent la rivière Naryn. Sur place, après trois heures de marche, les multiples faces sombres des pierriers dévoilent d’innombrables scènes de la vie de tous les jours. Des scènes, pour certaines, gravées il y a quatre mille ans! Des représentations de la vie agreste, de chasse et de partage social. D’innombrables gravures préhistoriques, moyens d’expression de jadis, qui font de ce vallon un site qui mérite l’attention des spécialistes du monde entier.
Géologie diversifiée sur la route menant de Naryn à Kazarman
Le lac de Köl Cyy
À deux jours de route de la capitale, pas loin de la frontière chinoise, un énorme éboulement a obstrué cette vallée étroite, créant un lac de 12 kilomètres de long
Il faut un permis spécial auprès des autorités kirghizes pour pouvoir se rendre à Köl Cyy par une route escarpée. Pas loin de là, le berger Meder Tolokov accueille les visiteurs dans ses yourtes. Avec ses moutons, ses yacks et ses chevaux, comme quelques autres familles, il y réside même au coeur de l’hiver. Le climat particulièrement sec n’amène que peu de neige, uniquement du froid, si bien que les bêtes y trouvent encore maigre pitance.( Blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/10/15/meder-tolokov-le-berger/)
En hiver, le lac complètement gelé, mais peu profond offre un incroyable parterre de glace
Le parc de Ala Archa
À une heure de route de la capitale Bishkek, les cimes enneigées proches des cinq mille mètres attirent du monde
Dans les versants ombragés, les citadins apprécient une brève marche et l’inévitable pic-nique dans une des rares forêts de la contrée. À une petite heure de marche, sur le sentier de Adygene, on trouve le cimetière des alpinistes sous un couvert de résineux; différent des autres monuments funéraires kirghizes, il rend hommage aux alpinistes du pays. Mais Ala Archa réserve de belles surprises faunistiques aux marcheurs attentifs. (Blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/08/12/a-labri-de-letoile-du-nord/)
Ala Archa accueille de gros troupeaux de bouquetins, des loups ainsi que la très discrète panthère des neiges
Randonner à skis au Kirghizistan
Longue montée au-dessus de la vallée de Naryn
Faire du ski dans le pays, à part dans quelque petite station aux pistes faciles, c’est inévitablement chausser ses peaux de phoque et faire confiance à son instinct pour choisir les pentes appropriées. Méfiez-vous des distances car les neiges et le danger d’avalanche n’y sont pas comme chez nous. Le climat continental, sec et froid en hiver, ne fait guère évoluer les rares chutes de neige qui ne se transforment guère. Des skis larges aident à évoluer dans un manteau souvent sans fond: il convient d’y faire sa trace. De décembre à février, à vous la belle poudreuse, et vraisemblablement à personne d’autre car on ne croise pas grand monde l’hiver dans les montagnes. Les possibilités sont innombrables dans la région de Karakol, de Jyrgalan ou de Suusamyr. Quelques vidéos sont accessibles sur mon blog: https://mavieaukirghizistan.com/2019/12/11/debut-de-saison/ ou https://mavieaukirghizistan.com/2020/02/19/ski-de-rando-au-kirghizistan/ Dès la fin juin, un des plus hauts sommets devient accessible aux expéditions, dans la chaîne du Tien Shan, au sud du pays. Le Pics Lénine et ses 7134 mètres peut notamment se faire à skis, dans le cadre d’expéditions bien organisées, avec camps d’altitude.
Ski de randonnée à Jyrgalan
Terrain de jeu
À deux heures de route de la ville de Karakol, à l’extrémité est du lac Isyk Köl, le petit village de Jyrgalan bénéficie de conditions hivernales favorables à la pratique du ski de randonnée. Deux vallées s’y rencontrent, chacune offrant ses itinéraires. Réunis en coopérative, les habitants conscients du potentiel touristique ont équipé plusieurs Guest Houses à l’accueil chaleureux.
Rigueur hivernale à Suusamyr
Directement accessible depuis le col de Too Ashuu (3400m), la rive gauche de la vaste plaine de Suusamyr offre des conditions de ski optimales par grands froids
Une inversion de température caractéristique fait baisser le thermomètre à -35° en hiver dans cette haute vallée, alors que cinq cents mètres plus haut règne un agréable -10°. Les pentes sud ensoleillées ou parcourues par les vents ont la particularité, au Kirghizistan, d’offrir des neiges transformées, ce qui favorisent de belles conditions de ski, à condition d’être dûment équipé contre le froid!
Interdite durant l’époque soviétique, la célébration de Nooruz a été réactivée dès 1991 dans la nouvelle république indépendante du Kirghizistan. On y célèbre le renouveau printanier lors de l’équinoxe de mars, jour férié dans le pays. Une tradition vielle de quelques 3500 ans, célébration zoroastrique de cette antique religion perse, plus ancienne que le Christianisme et l’Islam, qui fêtait l’un des jours les plus sacrés de l’année. La tradition a été introduite dans les pays d’Asie centrale par le commerce et les échanges culturels actifs sur la route de la soie. Aujourd’hui, la fête inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco est l’occasion de rappeler la richesse de la culture kirghize et de tous les pays d’Asie centrale, surnommés les « stan »: Kirghizistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan.
La cérémonie débute par un brûlis de branches de genévrier destinée à nettoyer symboliquement les troubles et la malchance du passé et à commencer une fraîche et heureuse nouvelle année. Suit un festival de danses, de chants, de récits de l’épopée de Manas ainsi que de sports traditionnels tels que le tir à l’arc, le tirer de corde, la lutte à la culotte, la chasse à l’aigle (Salburun) ou le Kök Börü.
Pour l’occasion tout le monde revêt ses plus beaux atours, créant un festival de costumes traditionnels colorés. Aux côtés du traditionnel kalpak qui coiffe les hommes (chapeau de feutre brodés d’ornements traditionnels), les femmes mariées revêtent de magnifiques et longs turbans brodés (elechek), qu’elles enroulent sur la tête, mais utilisaient aussi jadis pour envelopper les bébés, voir les morts en vue de leur long voyage. Les chorégraphies ont été soigneusement élaborées dans les mois d’hiver, le jeu de main y est essentiel. Il rappelle certains mouvements gracieux d’animaux sauvage ou d’équitation. L’occasion également de partager de bons moments de convivialité et de solidarité autour de la table et de plats spécialement apprêtés pour l’occasion. Aux côtés des traditionnels brook (beignets et pains grillés), Kourout (boules de fromage séchées), Laghman (nouilles plongées dans du bouillon épicé), Plov et autres Sashlik (brochettes de viande grillée) agrémentés de Bozo (bière légère à base de grains de millet fermentés), citons le traditionnel Sumolok, un pudding sucré à base de grains de blé germés, longuement imbibés, qui doit cuire durant 24 heures dans un chaudron au fond duquel on dispose quelques pierres pour éviter que le Sumolok n’attache ou ne brûle. Cette recette est uniquement réalisée pour le Nooruz, symbole de communauté, d’amitié et de porte-bonheur. La légende parle de nomades, alors au bord de la famine. Une des membres désespérée déverse des grains de blé germés dans de l’eau avec des pierres pour faire croire à ses sept enfants qu’elle prépare un met nutritif. Elle s’endort au bord du feu et constate à son réveil que le mélange s’est coloré de brun et a pris un goût et une constitution alléchante.
Lors des épreuves sportives, les différents villages peuvent s’affronter sous les encouragements d’un public nombreux et enthousiaste, alors que les enfants jouent aux traditionnels lancers de cailloux ou d’osselets, ou à la ronde. On est là bien loin des jeux vidéo sur la toile, sous le regard toutefois de nombreuses caméras et téléphones portables.
Les paroles d’un chant populaire de Nooruz donnent un aperçu de la mentalité nomade. Les voici en anglais, extraites du film Nooruz (à visionner sur Vimeo). Merci à Rahat Yusubalieva pour la traduction
Nooruz has come to my people Nooruz has come to my land May there be friendship and song May you take place, Nooruz, joyfully!
From the ancient times, the Nooruz holiday Muslim Peoples celebrate it The flag of the renewed year Sumolok boiling in the pot People’s mood being joyful Black soil breaks and grass comes out of it Udder of a cow opens and milk comes out of it Cream of the milk gets thicker When we say that Nooruz has come The land of the renewed people Motherland, stop the war Those who have been in conflict They make peace on Nooruz Those people who are poor Their voyage bags become full
Nooruz has come to my people Nooruz has come to my land May there be friendship and song May you take place, Nooruz, joyfully!
Nooruz has come, People Let us ask for blessing from the elders Let us not forget the traditions Let us play traditional games Let us make akyn-improvisers sing for us Let us give them white coat and headscarf Tablecloth full of delicious meals Let us purify the source of fireplace Let us feed with all meals we have Let us show respect to guests And leave after celebrating this sacred night
Nooruz has come to my people Nooruz has come to my land May there be friendship and song May you take place, Nooruz, joyfully!
Nooruz has come to my people Nooruz has come to my land May there be friendship and song May you take place, Nooruz, joyfully!
Oh this world! Oh this world! Oh this world! That young man is good who people call good That man is good who serves as shield for wide people That man is good who serves as shield for wide people
Oh this world! Oh this world! Oh this world! That man is good who shines as a star in the skies Those girls are good who give hope Those girls are good who give hope Oh this world! Oh this world! Oh this world! The father of the water is the spring The farther of the word is the ears Young man who seeks wealth is a shame Oh this world! Oh this world! Oh this world! The taste of the meal comes from the salt Full autumn harvest gives benefit in winter A bad woman emerges from a bad girl Oh this world! Oh this world! Oh this world!
A man who has lost his mind is people’s ridicule Young men who are foolish will get angry at father’s words Oh this world! Oh this world! Oh this world! If you get a blessing, spring bud will turn to a tree And your blackberries will turn white Talkative daughter- in- law will be a foe with her mother-in-law Oh this world! Oh this world! Oh this world!
Willow is better than fire tree In the darkness the Moon is better The rich is better when he gives The rich is better even when he doesn’t An old man with wisdom is better than A young man with a colorful shirt
Oh this world! Oh this world! Oh this world! The rich is better when he gives The rich is better even when he doesn’t Butter is good when you eat it Butter is good even when you don’t A dry trench is better than A daughter- in- law who has no respect
Oh this world! Oh this world! Oh this world! May a child be not separated from the parents May good people live forever May good people live forever Oh this world! Oh this world! Oh this world!
Pour les nomades kirghizes, le cheval est une aide indispensable pour se déplacer dans les steppes et guider ses troupeaux. Parfaitement maîtrisé par des cavaliers dès leur plus jeune âge, il est aussi au centre de traditions toujours vivantes. Lorsque les loups affamés attaquaient le bétail, les cavaliers les plus courageux – les « djiguites » – montaient les chevaux les plus vifs et prenaient les prédateurs en chasse. À l’aide de leur fouet, ils mettaient leur cheval dans un galop effréné pour rattraper leur proie et la saisissaient à même le sol, sans ralentir, en se penchant de tout leur saoul, leurs seules jambes encore accrochées à la selle.
Les cavaliers kirghizes sont incroyablement agiles sur leur monture
Ils ramenaient leur proie avec fierté au chef du clan, non sans se la disputer avec d’autres cavaliers lors de terribles joutes équestres, à l’origine du Kök Borü. Vainqueur, ils sauvaient leur honneur et celui de tout le clan. On observe la même adresse aujourd’hui chez les joueurs de Kök Börü – le loup gris en langue kirghize – mais pour le jeu; un véritable sport national exercé partout dans la campagne et sur les alpages, avec le développement de races de chevaux particulièrement appropriées. Autrefois improvisé par des dizaines, voire des centaines de cavaliers se disputant un loup mort, le sport s’est organisé autour de fédérations nationales. Deux équipes de quatre joueurs se disputent la carcasse d’une chèvre décapitée et doivent la déposer, souvent en pleine course, dans le « taï kazan, » un but circulaire à hauteur de selle.
Le cavalier glisse la dépouille sous sa jambe pour pouvoir galoper au plus vite
Il y va de la fierté et du pouvoir de tout un clan, mais aussi du maintien de l’identité kirghize. « Le Kök börü est un composant essentiel de l’identité en Asie centrale », constate la chercheuse Carolyn Willekes. C’est un jeu réservé aux hommes courageux et maîtrisant parfaitement l’équitation à une, voire à aucune main. Il est impressionnant en effet de voir ces cavaliers se disputer cette lourde carcasse en pleine course, leur cravache entre les dents, s’obstruer le chemin à l’aide de leur monture qui peuvent se heurter violemment ou jouer de tactique et de positionnement de leur cheval pour favoriser leurs pairs. Les joutes sont toujours fair-play, mais non sans danger tant l’engagement des joueurs est total, en particulier à l’approche du but dans lequel les joueurs doivent projeter une carcasse pesant entre trente et quarante kilos.
Les affrontements sont extrêmement virils et non sans dangers, pour les hommes comme pour les bêtes
Avec le temps et le nouveau mode de vie sédentaire, les concours contribuent à l’amusement de tout un peuple. Ils étaient jadis organisés à l’occasion d’événements importants, mais sont devenus séances d’entraînements et compétitions organisées sous le nom de « Ulak-tartysh. » Ceux qui ont assisté à l’une de ces joutes gardent en mémoire des luttes viriles de cavaliers extrêmement agiles et courageux. À mes yeux, ce sport rude retrace la rudesse de la vie dans les campagnes d’Asie Centrale. Pas étonnant que les kirghizes tiennent à donner une image virile des portes-drapeaux de leur clan ou de leur village.
Il y va de l’honneur de tout un clan ou de tout un village
Que ce soit chez les hommes ou chez les chevaux, les joutes se regardent avec calme et fair-play
Le Kirghizistan connait un climat continental, sec, chaud durant l’été et froid durant l’hiver. Les rares chutes de neige stagnent de longues semaines sous le soleil peu ardent et la froideur, pour se transformer en une couche de grains transformés, roulant comme des billes. Les torrents et rivières se dotent d’une carapace de glace de plus en plus épaisse qui, souvent, masque le cours d’eau lui-même. Après quelques semaines, on ose s’y aventurer, non sans veiller à ses appuis. La ballade le long du torrent se transforme en un parcours sans cesse changeant, avec de nombreuses traversées non pas à gué mais à glace.
Les chiens sont innombrables au Kirghizistan, laissés à eux-mêmes en pleine campagne, mi-sauvages. Il s’en trouve souvent un pour vous accompagner et glaner quelque pitance à l’occasion de la pause pic-nique. Ce jour de décembre, « Pouch » nous accompagne le long du torrent de Churkunchark qui s’enfonce dans un vallon étroit… Curieux comme nous, prudent comme nous, plus à l’aise toutefois.
Le givre habille la végétation automnale: frissons
Le Kirghizistan est une terre de contrastes, quelles que soient les saisons: en ce début d’hiver, les brouillards occupent la plaine de Bishkek, la capitale; il y neige, certes en petites quantités, et parfois le givre offre de magnifiques décors hivernal. À peine au-dessus de la couche nuageuse, le temps reste sec et le décor brunâtre. Retour à l’automne…
Plus l’on monte, plus la neige … diminue!
Sur le versant nord de la chaîne de Ala Too, la neige laisse croire à de bonnes conditions; détournez cependant la montagne et regardez les versants sud des sommets: toute la neige à disparu. Ce qui profite à la faune qui dispose d’immenses versants dégagés de neige pour brouter en toute quiétude. Plus l’on monte, moins il y a de neige fraîche. Un guide de montagne de la région m’explique que c’est toujours ainsi: en altitude la neige est soufflée par les vents et déposée sur les versants abrités. Dans le parc national de Ala Archa, il faut attendre le mois de mars avant de bénéficier de conditions de neige favorables. Alors essayons de nous rendre sur l’autre versant de la chaîne montagneuse.
La vallée de Suusamyr est au-dessus de 2000 mètres d’altitude; il y règne des températures glaciales, souvent les plus froides de la région. AUx alentours de la station de ski de Too-Ashu, il y a effectivement assez de neige pour chausser ses skis et s’aventurer sur les pentes. Certes le sol reste perceptible avec la pointe des bâtons et dans la descente, on pénètre jusqu’au fond. Mais ça passe…et nous ne sommes qu’au début décembre. Prudence toutefois à la descente: on skie sur la pointe des spatules! Après une première tentative en altitude, nous optons pour les alpages, moins rocailleux, où nous osons lâcher nos skis dans les premières courbes de cet hiver 2020/21.
Autre contraste Kirghize, ce pays qui connaît un climat continental. Seule la proximité d’un lac met suffisamment d’humidité dans l’air pour générer de bonnes précipitations. Situé à l’Est du pays, le lac d’Issyk Köl est l’un des plus vastes aux monde. Sa présence génère un gradient positif d’humidité de l’ouest vers l’est et il faut se rendre sur ses rives pour trouver de la neige. Rien au début, mais plus on roule vers l’est, plus le décor se transforme, jusque dans la région de Karakol où se trouve l’une des rares stations de ski kirghizes. Nous nous arrêtons un peu plus tôt et optons pour la vallée sauvage de Jeti Ogyz. Une piste enneigée permet d’y pénétrer suffisamment pour découvrir des pentes skiables qui ne soient pas trop rocailleuses. Il y rôde des sangliers et des loups, nous dit-on. Nous n’y abandonnons que nos traces.
Après une première découverte de ce site incroyable et après m’être documenté, je suis retourné à Saimaluu Tash pour y tourner diverses séquences, selon un scénario pré-écrit. Le film donne quelques explications sur les plus de 90’000 gravures que présentent ces pierriers de basaltes oxydés. En fin de montage, Rahat, une scientifique kirghize, délivre ses impressions et rappelle combien la connaissance du passé importe pour approcher le futur. Durant mon séjour, plusieurs habitants de Kazarman, le village voisin, sont d’ailleurs montés découvrir pour la première fois les richesses de leur contrée. Voyage dans le temps en un pays où l’espace apparaît presque infini.
Nulle part dans la chaîne montagneuse de Fergana Kirka Toosu, qui sépare la vallée fertile de la Fergana des plaines arides du Kirghizistan central. Un vallon comme un autre au Sud de Kazarman. Un alpage en été, avec ses groupes de chevaux et un troupeau d’un bon millier de moutons bruns. Si la géologie n’en avait pas voulu autrement, ce vallon serait resté nulle part. D’autres régions voisines se sont vues gâtées de minerais d’Uranium et d’or. Mais pas Saimaluu Tash. L’activité volcanique a fait d’une partie de ce vallon qui culmine à 3600 mètres un glacier rocheux transportant des basaltes, bruns foncés, oxydés en noir brillant voir en bleu intense lorsque caressés par le soleil couchant. Suivant l’inclinaison de ses rayons, les multiples faces de ces cailloux dévoilent d’innombrables scènes gravées de la vie de tous les jours. Des scènes, pour certaines, vieilles de quatre mille ans, des premiers siècles de notre ère pour d’autres. Des représentations de la vie agreste, de chasse et de partage social. D’innombrables gravures préhistoriques, moyens d’expression de jadis, qui témoignent de temps fort éloignés. Et qui font de ce vallon un quelque part qui mérite l’attention des spécialistes du monde entier. Le site où l’on compte le plus grand nombre de pétroglyphes en Asie centrale.
L’été à Saimaluu Tash, deux mille ans avant notre hère, la vie ne devait pas être très différente d’aujourd’hui. D’innombrables moutons bruns paissaient sous la conduite de rares bergers dans des pentes couvertes d’oignons sauvages. Ces pasteurs devaient avoir beaucoup de temps une fois leur bêtes parquées dans un creux du vallon. Aussi, à Saimaluu Tash, se sont-ils mis a graver des scènes de leur quotidien sur cette roche noire qu’on ne trouve nulle part ailleurs: du bétail sous la conduite de bergers, des animaux sauvages chassés par des tireurs à l’arc, des scènes de vie sociale au voisinage des parcs à bétail, de rares scènes d’adoration et même des scènes érotiques lorsque le temps laissait loisir à leur phantasmes. Dans le pierrier d’apparence anodine se côtoient des ibex, des mouflons, des mammouths, des cerfs à la ramure spectaculaire, des boeufs et des chèvres aux cornes gigantesques: signes de la signification que les pasteurs de jadis attribuaient au bétail, ou de la renommée qu’ils comptaient s’attribuer à la garde de bêtes dotées de tels trophées. On compte presque cent mille gravures ancestrales sur les pierres de Saimaluu Tash – les pierres brodées en langue Kirghize – , auxquelles viennent malheureusement se rajouter quelques gravures, moins esthétiques, de visiteurs contemporains. Car le site n’est pas protégé. Il le mériterait pourtant grandement tant son importance paraît mondiale aux yeux des spécialistes. Heureusement qu’il n’est atteignable qu’en plusieurs heures de marche.
Seul sous ma tente au bord d’un petit lac, les moutons sont suffisamment descendus pour que je n’entende plus leurs bêlements incessants. Dans les rochers me dominant, un grand oiseau lance des cris qui pourraient s’avérer inquiétants pour un intrigué qui résiderait sur ce site mystérieux. Au petit matin six orages consécutifs déferlent sur le site et y déposent cinq centimètres de grêle. Signe des dieux? Je peine pourtant à déchiffrer de nombreuses scènes d’adoration sur les roches de basalte. Un homme soleil de ci, de là, des hommes armés dansant ou implorant je ne sais quelle divinité. Les interprétations pourraient être nombreuses. Mieux vaut se cantonner à l’évidence.
De nombreux moutons paissent dans le vallon de Saimaluu Tash, comme il y a quatre mille ans?
Un glacier rocheux a déposé des pierriers de basalte au creux du vallon
Scène de vie alpestre issue de la nuit des temps: enclos, chemin, tir à l’arc et chèvre allaitant son cabri
Bétail stylisé, chèvres aux cornes gigantesques: preuves de la signification que les pasteurs de jadis attribuaient au bétail
Scène de labour
Chasse d’un prédateur qui s’en prend au bétail
Père et mère tenant un enfant par la main: la famille avec une pièce de bétail
Scène alpestre aux rayons du soleil couchant; le basalte est recouvert d’une couche oxydée qui permet de bien faire ressortir les gravures
Kamasoutra antique
Comme si la roche avait voulu mettre en valeur le travail de l’artiste graveur
De la neige légère par des températures pouvant descendre à -30°
À l’ouest de la chaîne de Ala Too, perchée à plus de deux mille mètres d’altitude, la haute vallée de Sussamyr offre un décor hivernal ydilique en ce mois de février. Un micro-climat y fait régner une inversion de température qui garantit une neige poudreuse, mais aussi de très basses températures dès que le soleil est masqué par des nuages. La nuit au fond de la vallée, le thermomètre peut atteindre les -40°. Mais la journée sur les hauts offre des températures hivernales agréables pour la randonnée à ski, pour autant que le vent du Nord ne soit pas de la partie.
Petite illustration filmée de deux journées de fort belle randonnée dans l’arrière pays, seuls au monde:
Au Kirghizistan, il ne neige pas énormément mais les températures restes froides en altitude et la neige ne se tranforme guère. Pour ne pas trop s’enfoncer dans ces neiges poudreuses ayant peu de cohésion, il est nécessaires de monter sur des skis suffisamment larges. S’il neige de grosses épaisseurs, il faut s’abstenir de parcourir des pentes trop raides où les couches de profondeurs granuleuses présentent des faiblesses quasi permanentes. Seul le vent, en altitude, permet de tasser quelque peu la neige. Aussi peut-on dire qu’on Kirghizistan, le vent n’est pas que l’architecte des avalanches, mais parfois aussi un facteur de consolidation favorable du manteau neigeux.
La haute vallée du Suusamyr et son climat froid, favorable au ski de randonnée
Un vaste décor de terre ocre et jaunâtre ainsi que de pierres roulantes
Le vent froid descend des montagnes dans la vallée de Tyyra Cyy où habite Aitbek , sa femme Gylnaz et sa famille. Isolée de tout, leur petite ferme compte une baraque rudimentaire en plus de l’habitation et de l’étable; y logent deux aigles apprivoisés. Un premier cri raisonne; un deuxième cri lui fait écho. Les aigles observent tout mouvement autour de la maison et se manifestent derrière le fin grillage qui leur fait office de fenêtre.
Une petite baraque isolée de la ferme, où logent les deux aigles
Hier soir, sous le regard attentif d’un hôte inattendu, Gylnaz, son frère et sa fille ont préparé de succulents Mantis, des raviolis frais fourrés de viande hachée, de patates et d’oignons. Un faucon, exceptionnellement, siège sur l’accoudoir du fauteuil, à l’intérieur du séjour qui sert également de cuisine. Aitbek prend place dans le fauteuil et caresse longuement le rapace en vérifiant que ses plumes soient bien ordonnées. Au sol, un plastique protège le tapis des fientes que le rapace éjecte à espaces réguliers. La seule pièce de la maison est chauffée par un poële dans lequel on glisse régulièrement des bouzes séchées. Pas besoin de charbon dans la maison de Aitbek, le chasseur à l’aigle et au faucon. Les vaches fournissent le précieux combustible.
Un faucon siège sur l’accoudoir du fauteuil, à l’intérieur du séjour
Dans les campagnes, les Kirghizes ne se lèvent guère aux aurores, en raison du froid mordant. C’est jour d’entraînement à la chasse pour Karachin, l’aigle âgé de quatre ans que Aitbek prend en charge sur son gant de cuir rembourré. Demain ce sera le tour de son second aigle, le plus âgé pour une chasse à cheval. Pour calmer l’impatience du jeune rapace et l’empêcher de voir autour de lui, Aitbek le coiffe d’un masque aux vastes globes oculaires. Il passe chercher le jeune confrère Azamat au village, avec son aiglonne Tcharilgan, âgée de quatre ans elle aussi, mais plus grande que le mâle Karachin. Tous deux embarquent à l’arrière du véhicule pour la côte sud du lac Issyk Köl. Une chasse au chacal est au programme du jour.
Aitbek, le chasseur et son aigle Karachin
Pour lui permettre de soutenir avec un seul bras les 5 kilos de son aigle durant les longues heures de marche que peut durer une chasse, Aitbek s’aide d’une fourche encastrée dans la grande boucle dorée de sa ceinture. Les deux couples de chasseurs arpentent un vaste décor de terre ocre et jaunâtre ainsi que de pierres roulantes, sous les cris aigus des deux aigles. Sur les bords du vaste plateau sommital se découpent de profonds vallons dans lesquels pourrait se cacher quelque chacal. À chaque fois se déroule le même rituel: une approche prudente de la crête suivie de l’observation attentive du ravin. Parfois Aitbek ôte le masque pour permettre à l’aigle de s’acclimater à l’environnement, mais surtout de déceler lui-même, et ce bien plus efficacement, quelque animal se déplaçant alentour. Azamat fait rouler des blocs de rocher dans l’espoir de dénicher une proie.
En vain… De colline en vallon, de crête en ravin, la région est passée au crible des fins limiers, sans succès; pas de chacal en vue. Aitbek se résout à déposer son aigle au sol; il le démasque et s’éloigne en l’appelant régulièrement. Suffisamment éloigné de son protégé, il agite son gant pour l’inciter à le rejoindre. Tout en le suivant du coin de l’oeil Karachin préfère scruter le sol autour de lui, dans l’espoir d’y trouver maigre pitance. Lorsque enfin il décolle, le rapace brun doit largement battre des ailes pour rejoindre son propriétaire. Les courants thermiques sont absents de ces froides journées d’hiver. De son côté, Azamat laisse son aigle planer dans le décor aride. Pour le stimuler à revenir vers lui, il place un pigeon mort dans son gant, que Tcharilgan rejoint de puissants battements d’ailes et dévore à coup de bec rageurs, tout en s’aidant de ses serres acérées. Dûment masqué, Karachin ne peut observer sa consoeur se rassasier mais il perçoit parfaitement ce qui se déroule et réclame à coup de cris aigus. Aitbek tient à le garder affamé, si jamais… le repas sera pour plus tard. Après plusieurs heures à arpenter le relief, bredouilles, les deux paires s’en retournent. Peut-être demain sera-t-il plus fructueux, plus haut dans les montagnes où rôde le renard roux?
Azamat entraîne son aiglonne en l’appâtant avec un pigeon qu’il tient dans son gant de cuir
À quelques reprises la neige a blanchi les sommets, mais pas en suffisance pour chausser ses skis. Début décembre, il a fallu partir vers l’Est, vers Karakol et Jyrgalan, pour trouver une belle couche de poudreuse. Premier essai à proximité de la station de Caprice, mais on y sent le sol à chaque planter de bâton. Le petit village de Ichke-Jergez nous accueille pour la nuit, parmi les vaches et les chevaux qui trouvent encore maigre pitance à proximité des habitations. Départ pour les hauts de bonne heure le lendemain, parmi de nombreuses traces de bétail qui courent la steppe recouverte de 15 centimètres de neige. Inutile de chercher un itinéraire précis sur la carte topographique au 1:100’000; il faut ici faire confiance à son sens du terrain, se laisser parfois guider par ce dernier, puis par une piste de débardage de bois qui nous conduit sur une crête forestière. Les paysans sont montés jusqu’en lisière de forêt avec leur chevaux pour rapatrier les gros troncs qu’à l’automne ils ont coupés. Ici les arbres couvrent de vastes surfaces et les fermes se chauffent au bois. Un bon baril de une à deux tonnes permet de passer l’hiver au chaud, nous confirme le sympathique paysan qui nous invite à partager le thé dans sa demeure à la température plus qu’agréable. Mais quel labeur auparavant pour arracher à la montagne ces mastodontes avec la seule aide de son cheval! Celui-ci doit être dûment ferré, pour tracter de tels poids sur la glace et la neige qui offrent une surface de glissement idéale.
Après une longue montée sur le village de Ichke Jergez, les neiges deviennent immaculées.
Bientôt les neiges sont immaculées, sans aucune trace, même pas de renard ou de lièvre. Nous voici seuls en montagne, plus seuls que d’habitude car les bergers ont quitté la steppe. Plaisirs de la randonnée aux confins du pays, dans un décor toujours plus hivernal, que quelques coulées ont strié lors de la toute première chute de neige tombée sur un sol uniformément et profondément gelé. Descente agréable dans une couche suffisante pour se laisser aller sans aucune crainte du sous-bassement.
Sensations hivernales retrouvées, magnifiées même dans ce pays vaste et encore plus sauvage lorsque recouvert d’une neige qui reste longtemps fraîche grâce au froid persistant. Le troisième jour nous voit arpenter les pentes de Jyrgalan, haut lieu de la randonnée hivernale, non loin de la frontière avec le Kazakhstan, mais pas encore dans le massif de Muz-Too, à l’extrême Est du pays, où se trouvent les plus hauts sommets du pays, le Khan Tengri, 6995 m et le Pobeda 7439 m. Jusqu’ici nos sorties se sont limitées à des sommets de 3’400m d’altitude. Tout là-haut, c’est une autre histoire…
Longue montée au-dessus du village de Ichke-Jergez
Un film de 14 minutes illustre la transhumance automnale de Meder et de Artouk, deux bergers kirghizes, avec leurs troupeaux de vaches, de moutons et leur chevaux, sur plus de 100 km su départ du lac Köl Suu. Pour l’occasion, ils étaient accompagnés de 7 touristes sur leur chevaux. à voir sur: https://youtu.be/E4X4NbjAPBs
Chance nous a été donnée de contempler la chaîne frontière avec la Chine dans le soleil couchant
Ce soir, la voie lactée est encore plus belle. Aucune lumière parasite ne vient troubler la vue de cet espace infini où la pensée peut s’évader sans que l’imagination ne lui impose de limite. Le firmament nocturne est le miroir idéal de la steppe kirghize, qui étend sa sécheresse saisonnière de plaines en collines, dans le silence indicible d’une longue page blanche.
Pour l’instant, dans la yourte voisine de nos tentes, quelqu’un chante la prière du soir. Nous sommes sept étrangers à chevaucher aux côtés de Meder et ses treize vaches; sept heures durant, en compagnie de Rahat, accompagnatrice Kirghize mandatée par le tour opérateur Nomadsland, qui a mis cette expédition sur pied. Depuis les environs du lac Köl Suu, notre convoi a tout d’abord suivi la rivière Ak Suu et ses beaux méandres pour remonter des pentes abruptes dévalant entre des rochers dénudés. Y voir Meder et son collègue berger venu l’aider pour ce passage délicat, c’est assister à une démonstration de maîtrise équestre. Les kirghizes tiennent les rennes de leur seule main gauche, l’autre actionnant une cravache rudimentaire de corde et de bois. Faire remonter un tel talus à des vaches guère dégourdies semble de la routine pour eux, alors que, inquiétés par la pente, nous nous agrippons d’une poigne craintive à la selle de nos montures. Leurs chevaux, placides, réagissent aux ordres « à la baguette. »
Y voir Meder et son collègue berger venu l’aider pour ce passage délicat, c’est assister à une démonstration de maîtrise équestre.
Après une chevauchée sur un vaste plateau parsemé de rochers nous rappelant l’île de Pâques, nous avons rejoint une plaine encore plus vaste, où aucun arbre n’osait rompre les lignes fuyantes. Il y a quatre jours que nous n’avons plus vu aucun arbre! Une équipe de ravitailleurs nous y a précédés avec son camion chargé des affaires du bivouac. En lieu et place d’un hypothétique centre culturel d’Ak Cyy qu’indique la carte topographique, un étalon solitaire est venu signifier de manière vindicative à nos chevaux qu’ils évoluaient sur ses terres. Un délicieux plof chaud nous a procuré une énergie nouvelle pour le reste de l’après-midi. Après une longue combe en pente douce suivie par un petit plateau – petit à l’échelle kirghize – parcouru de torrents asséchés et creusé d’autant de combes à l’herbe rase, chance nous a été donnée de contempler la chaîne frontière avec la Chine dans le soleil couchant. De quoi oublier le malaise de nos séants! Autant dire que la découverte de la yourte de nos hôtes du soir nous a soulagés… nous et nos muscles courbaturés!
Ici, au milieu de nulle part, la famille de Artouk a vécu durant six mois d’été avec un enfant de moins d’un an, leurs 750 brebis, leurs vaches et leurs chevaux. Leur yourte se veut moderne avec son petit panneau solaire alimentant un éclairage rudimentaire et sa structure métallique entourée d’anciennes bâches publicitaires, en lieu et place des traditionnels tapis. Sur le côté droit de l’entrée brûle un feu réconfortant dans un fourneau en fonte alimenté de bouzes de vaches séchées. Repas simple mais suffisant, dans une ambiance sympathique, partagé à même le sol recouvert d’un tapis par huit nomades kirghizes et sept touristes, autour d’une toile servant de table. Intrigués par leurs conversations en langue kirghize, nous leur demandons si nous ne sommes pas intrusifs. Ils nous expliquent leur hospitalité traditionnelle: ils peuvent aller n’importe où dans les montagnes du pays et se faire héberger par leur pairs pour la nuit. Si quelqu’un les visite, ils l’hébergeront. Plus il y a d’hôtes sous leur toit, plus ils se sentent honorés. Alors Artouk, sa femme et ses aides ne nous cachent pas leur plaisir de cette veillée. Demain nous reprendrons la piste tous ensemble et conduirons, trois jours durant, le troupeau dans l’immensité brune de la steppe automnale.
Hospitalité traditionnelle kirghize: ils peuvent aller n’importe où dans les montagnes du pays et se faire héberger par leur pairs pour la nuit. Si quelqu’un les visite, ils l’hébergeront. L’éclaircie du matin a ainsi eu tout le loisir de disparaitre.
Dans le soleil levant, cinq agneaux juste nés réclament leur mère. Pendant que nous plions le camp, les bergers les font allaiter par leur mère brebis, puis partent à cheval rassembler les moutons qui ont profité de la nuit pour quêter herbage. La femme de Artouk trait quelques unes des 30 vaches, alors que son mari repart chercher une poignée de chevaux blancs se cachant dans une combe discrète. L’éclaircie du matin a ainsi eu tout le loisir de disparaitre. La neige nous pousse durant les premières heures du pensum du jour, dos au vent, fort heureusement.
Puis le soleil alterne avec la pluie sur les quelques 20 km qui restent à accomplir. La progression est ponctuée de quelques bêlement et du spectacle divertissant, presque charmeur, de ces rondeurs bien grasses des croupes des brebis dodelinant au rythme de la marche.
Les agneaux juste nés sont chargés sur le pont du camion, en compagnie des biens que toute la famille a utilisés durant l’été sur l’alpage. Si une bête boîte trop, Artouk la saisit par sa laine, sans descendre de cheval et la transporte sur sa selle jusqu’au camion. Ces journées sont rudes pour nos postérieurs également, mais surtout pour nos genoux bien sollicités. Une fois le poste de contrôle marquant cette zone frontalière franchi, le col de Kyndy accède à une vallée escarpée, que tout le convoi descend sous la neige, au crépuscule. Terre grasse et pierres qui roulent accompagnent les cris stridents des bergers: « tchou! » pour les chevaux, « ossch! » pour les vaches et « drrrrriii ! » pour les moutons. Sans compter les instructions que Meder et Artouk nous donnent de temps à autres pour éviter à notre monture toute glissade impromptue. Précautions quasiment superflues tant nos chevaux ont le pas sûr dans un tel terrain. Artouk, lui, est époustouflant de puissance et d’aisance aux rennes de son cheval blanc, fougueux mais très efficace. Peu importe le talus, la raideur du terrain ou son état, il dirige sa monture avec vitesse et précision pour ramener sur la piste les bêtes qui s’en écartent. Plus il arrive vite, mieux le bétail lui obéit, alors qu’il a déjà fait volte face pour en ramener d’autres au sein du troupeau.
Si une bête boîte trop, Artouk la saisit par sa laine, sans descendre de cheval et la transporte sur sa selle jusqu’au camion.
Les kirghizes n’appellent pas un cheval blanc en évoquant sa couleur, car cela pourrait lui enlever ses propriétés bénéfiques.
Les agneaux juste nés sont chargés sur le pont du camion, en compagnie des biens que toute la famille a utilisés durant l’été sur l’alpage.
Nous avons tout juste le temps de monter la tente avant la nuit complète, mais surtout avant la nouvelle averse généreuse qui nous surprend, debout sous une toile plastique tendue entre deux véhicules, percée justement au-dessus du repas chaud que nous partageons autour du poêle de fonte. Imperturbable, la cuisinière tient son enfant d’un bras et nous sert le thé réconfortant. Les désagréments de tels moments passés ensemble contribuent à l’atmosphère amicale et à la bonne ambiance qui nous accompagne tout au long de notre périple.
Expérience vraiment inédite que cette transhumance, au son du pas des bêtes et des chansons kirghizes que fredonnent les bergers, heureux d’être là. Le tout dans un paysage dont les beautés nous sont aujourd’hui restées cachées. Elle se dévoilent le lendemain, alors que nous cheminons en parfaite sérénité avec le troupeau. La plaine est échancrée, personne alentours et les sommets enneigés brillent au soleil. En pleine méditation itinérante, j’explique à Rahat qu’initialement tous les habitants de cette terre sommes issus de pèlerins en provenance d’Asie Centrale et d’Ethiopie. Elle me répond: « welcome home. »
Vient une gorge à descendre le long d’une route taillée dans une forêt de conifères, avant de gagner une plaine sans fin apparente, en vue de grandes fermes et d’un village. Ce midi, les bergers n’ont pas pris leur repas car les bêtes, chaudes, désiraient poursuivre leur chemin. Lors de la dernière heure de chevauchée, Artouk m’apprend une chanson Kirghize, Жамгыр төктү – Jamgir Tektou, un classique, sous la pluie et le vent qui n’ont pas manqué de survenir au moment du souper. Le texte rappelle à la jeunesse du pays que la pluie, comme les moments rudes, ne durent jamais, et qu’après le mauvais temps vient l’éclaircie. Elle est en tous cas dans les coeurs de sa famille, heureuse de rejoindre son village après six mois passés sur l’alpage. Aucune perte de bétail n’est survenue, elle pourra les rendre à la dizaine de voisins qui les lui ont confiées, sans aucun dédommagement dû aux loups ou à d’autres impromptus. Ce soir, alors qu’il pleut au dehors, les brebis entourent nos tentes et vitupèrent contre ce temps humide. Les bergers gardent un œil sur elles durant toute la nuit, dormant d’une oreille sous une seule tente, blottis dans des sacs de couchage rudimentaires. Il faut être robuste pour exercer le métier de berger en Kirghizie! Et Dieu sait si il y en a, des bergers à cheval en Kirghizie…
Il faut être robuste pour exercer le métier de berger en Kirghizie!
Notre dernière journée de transhumance débute sous un reste de neige et de brouillard, avant que le soleil ne nous réchauffe. Les derniers 25 kilomètres nous mènent jusqu’à Birlik, le village de Meder. Nous traversons fièrement un premier village sous le regard amusé des Kirghizes devant ces bergers colorés et casqués, qui pourtant se débrouillent pas mal sur leur monture pour faire avancer le troupeau. Les vrais bergers, eux, profitent de notre présence pour saluer les amis, bavarder un petit coup sur l’été qui s’achève, voir pour séparer quelques bêtes et les rendre à leur propriétaire. À Birlik, point final de notre périple de cent vingt kilomètres, nous sommes reçus dans la maison du frère de Meder par leur père, dûment coiffé de son Ak-Kalpak, traditionnel chapeau Kirghize, qui nous adresse un prêche, une moitié en russe et l’autre en kirghize, sur les bienfaits de l’Islam. Une première douche depuis une bonne semaine peut être prise dans une variante du sauna russe, surchauffée, qui fait grand bien à nos carcasses endurcies – un peu – au grand air de la transhumance.
Nous traversons fièrement un premier village sous le regard amusé des Kirghizes
Dûment coiffé de son Ak-Kalpak, traditionnel chapeau Kirghize, le père de Meder nous adresse un prêche, une moitié en russe et l’autre en kirghize, sur les bienfaits de l’Islam
Le berger Meder vit à plus de trois mille mètres d’altitude, en un lieu reculé de Kirghizie. Rien ne le distingue au premier abord de tous ses pairs, car le Kirghizistan abonde de lieux reculés. En compagnie de sa femme Jazgoul, de son fils et des ses trois toutes jeunes filles Nour Aïda, Nour Annia et Nour Baïke, ses étés se déroulent paisiblement aux pieds d’une chaîne de montagnes qui, sur des centaines de kilomètres fait frontière avec la Chine. Quelques jours passées en leur présence nous font découvrir des êtres chaleureux et bons vivants. Descendant de générations de berger, toujours le sourire aux lèvres, Meder a le teint hâlé des gens qui passent toute l’année en plein air. L’œil malicieux du chasseur capable de localiser le gibier dans de vastes alentours. Le petit mot d’humour que notre méconnaissance de la langue kirghize ne nous permet pas de comprendre, mais qui répand rire et bonne humeur dans l’assemblée. Il a la stature solide, mais la gentillesse de l’homme des montagnes qui aime partager le pays qu’il aime.
Meder et ses deux aides indispensables à son travail de berger
Jazgoul et deux de leurs filles
Son pays, c’est des montagnes à perte de vue, une rivière qui méandre selon ses caprices dans une vaste plaine. Au printemps lors de la fonte des neiges, les eaux peuvent se montrer menaçantes. Elles sont canalisées par des collines brunâtres, où paissent moutons, vaches et yacks. Des bêtes tenaces et sauvages que ces yacks; le froid continental ne saurait les effaroucher, pas plus que les loups, lorsque la neige les incite à rejoindre les contrées moins hostiles.
Son pays, c’est des montagnes à perte de vue, une rivière qui méandre selon ses caprices dans une vaste plaine
Une année ces derniers lui ont prélevé cinq chevaux. Ils les chassent en meute; un loup saisit le poitrail, l’autre croque le ventre et le cheval, déstabilisé, est mis à terre. Ce qui ne peut arriver au yack, beaucoup plus stable sur ses pattes, qui en plus sait se défendre.
Des bêtes tenaces et sauvages que ces yacks, à l’aise dans les pentes les plus abruptes
Alors Meder part parfois à la chasse au loup avec ses trois chiens kirghizes, qui s’apparentent à des lévriers. En plus d’une habileté certaine à conduire les troupeaux de moutons, ce sont des bêtes sveltes, nourries juste ce qu’il faut. Capables de courir très vite, les chiens mordent une patte arrière du prédateur, la relâchent en piteux état lorsque le loup fait volte-face et poursuivent la traque en mordant le loup à l’autre patte arrière. Ils immobilisent ainsi son train arrière, puis la bête en entier. Pour nous, faute de démonstration, ces chiens s’apparentent à de gros malins, qui parviennent à se glisser dans notre yourte à la nuit venue, et même, pour les plus hardis, à tenter de se coucher sur nos couvertures.
À nos yeux ces images de chasse restent imaginaires… jusqu’à cette nuit d’octobre où nous sommes réveillés par une complainte de sons aigus provenant de la montagne voisine. Une drôle de sensations nous donne la chair de poule. Une meute de quelques loups hurle sa présence à tous vents. Ils sont bien là, ces loups, à quelques centaines de mètres! Un jour peut-être serons-nous confrontés à symboles vivant de la montagne sauvage? Pour le moment, ce sont les chiens qui réagissent à coup d’aboiements féroces… sauf celui qui s’est glissé dans notre yourte, que nous devons expulser pour qu’il exerce son rôle de chien de garde et se hasarde à un timide jappement. Au petit matin, les hurlements n’ont guère semé de panique dans les troupeaux: chaque bête est à sa place; Meder ne les a même pas entendus! Son frère, lui, en estime le nombre à quatre ou cinq. Quelques jours plus tôt, réveillé en pleine sieste, il en avait vu deux à trente mètres de distance.
Meder et son frère passent aussi leurs hivers sur les hauteurs, bien que nombre de leurs pairs aient déserté la contrée. Point de bêtes à traire; accrochés aux pentes abruptes, les yacks se débrouillent tout seuls, même s’ils gardent sur eux un oeil constant; mais, depuis quelques années, des visiteurs à héberger, à nourrir et à guider alentours.
Meder et son frère passent aussi leurs hivers sur les hauteurs
Ce changement, Meder le doit au lac Köl Suu, situé à proximité. Un lieu de beauté sauvage, encastré entre de hautes falaises. Un lieu puissant, mystique même. Au XVe siècle, ou peut-être avant, nul ne sait, un énorme éboulement à obstrué cette étroite vallée, la rendant impraticable. Un lac long de douze kilomètres s’est vite accumulé derrière le cône de rochers, n’abandonnant à l’eau qu’une petit ressurgeance bien plus bas, où naît la rivière Köl Suu.
Le lac spectaculaire de Köl Suu, dans le massif frontalier avec la Chine de Kak Shala
Ce lac spectaculaire constitue un unique joyau que les Kirghizes eux-mêmes viennent admirer depuis fort loin, ainsi que des touristes de plus en plus nombreux. Parfois, de riches chasseurs étrangers font appel à Meder pour localiser le fameux Ibex, ou les Marco Polos, des bêtes protégées à un million de soms chacune. Alors, pour la belle saison, il a aménagé des yourtes supplémentaires à celle de sa famille, un dizaine au total. Ainsi qu’une roulotte pour faire la cuisine, car il y a de la tâche pour accueillir tout ce monde. Lorsqu’il le pourra, il achètera un ou deux chameaux. Maintenant que les premières neiges font leur apparition, il plie ses yourtes, une à une, et les range dans une maison héritée d’un ancien kolkhoze russe qu’il a pu acquérir. Son fils est déjà parti il y a quelques semaines, école oblige; sa femme et ses trois filles partiront dans une quinzaine de jours.
Aux derniers rayons du jour, Meder et son frère partent au-delà des premières collines, ramener le troupeau de moutons et les mettre à l’abri de tout prédateur dans leur enclos. Les chevaux sont entravés, pour qu’ils ne s’éloignent pas trop durant la nuit, alors que la petite quinzaine de vaches ne s’aventure guère au delà des prairies voisines. Tourisme oblige, Meder a adapté sa manière de travailler. Nous sommes sept visiteurs occidentaux qui allons l’accompagner à cheval lors de quatre journées de transhumance et l’aider à guider son troupeau de vaches et de moutons. Le soir venu, Meder allume le poêle dans chacune des yourtes alors qu’à la cuisine Jazgoul a préparé le plof traditionnel: de la viande de mouton, des pâtes ou des patates cuites dans un bouillon gras, agrémenté de quelques légumes. La table est simple, les sucreries abondantes. Les enfants en profitent sous l’oeil bienveillant de leurs parents. À peine capable de tenir debout, la plus jeune tient absolument à se débrouiller toutes seule. La convivialité est bien présente. Meder parle de son métier, de ses bêtes et de la région qu’il aime. Il a le langage factuel des gens de la montagne pour qui tout est dicté par la nature et le temps qui passe. Une vie simple d’apparence mais qui ne dit pas la rudesse de l’hiver et le labeur quotidien pour satisfaire ses hôtes. Au petit matin, les bergers sont partis de bonne heure ramener tous les chevaux. Meder nous explique le comportement de base et même le noeud spécifique pour entraver leurs pattes avant lors des arrêts de longue durée. Pour nous accoutumer à nos montures, il nous fait découvrir la puissance du lac Köl Suu. Dominé par des falaises vertigineuses, que parcourt en long et en large un groupe de vautours. Les chevaux à la pause se restaurent d’herbe sèche. Aux confins du Kirghizistan, dans un silence absolu, nous contemplons cette nature à l’état pur.
Chaque fois que Meder arrive sur la rive de Köl Suu, il s’assoit paisiblement sur un rocher et contemple l’étendue turquoise parcourue par le vent. Un courant de liberté qui le laisse songeur, simplement heureux d’être là…
Yourte sur les rives du lac Song Köl, Kirghizistan
Quelque part égaré dans l’une des innombrables vallées kirghizes…la carte, pas plus que le GPS, ne me servent pour trouver le col à franchir. Surgit de je ne sais où un jeune cavalier sur sa monture, en train de veiller sur son troupeau de moutons. Il vient à ma rencontre: poignée de main traditionnelle, avant de me remettre sur le bon chemin. Non sans m’avoir demandé d’où je viens, où je vais, quel est mon âge, si j’aime le Kirghizistan et combien coûte la montre que je porte à mon poignet: scène de rencontre traditionnelle. Difficile, à la bonne saison, de se perdre dans les montagnes kirghizes. Souvent surgit sur une arête, en ombres chinoises, un berger sur son cheval, avec un ou plusieurs chiens, et de nombreuses têtes de bétail. Les chevaux, les vaches avec leur veaux peuvent être parfois laissés à eux-mêmes. Les moutons par contre nécessitent un gardiennage constant. Chiens et berger agissent de concert pour conduire le troupeau.
Famille kirghize lors de l’estivage du bétail à 3000m d’altitude
Faute de véhicule me permettant d’accéder à certaines régions reculées, je me contente de sorties à la journée sur des alpages peuplés par des nomades dans leur yourtes. À la recherche d’un col, je m’approche de l’une d’entre elles pour me renseigner. La femme qui m’accueille m’invite rapidement à m’asseoir et me sert un bol de Kummis, cette boisson légèrement alcoolisée, faite à partir de lait de jument fermenté. Par bienséance, je ne saurais refuser malgré son goût acidulé. Par la même occasion je fais le plein de vitamines et de corps gras, absents dans la nourriture traditionnelle.
Le jeune homme est fier de me montrer comment, à l’aide de sa cravache, il maîtrise son fougueux étalon
Prédateurs obligent, les troupeaux sont ramenés le soir près des yourtes
Partage haché de quelques mots de russe qu’elle et moi connaissons: je ne parle pas Kirghize. Accouru sur son cheval, le fils a tôt fait de m’indiquer le bon passage, par bonheur également inscrit en Kirghize sur ma carte. Il m’accompagne même, fier de me montrer comment, à l’aide de sa cravache, il maîtrise son fougueux étalon.
Les kirghizes montent à cheval dès leur plus jeune âge
Après une longue journée de marche, je parcours le village de Jany Talap à la recherche de la seule auberge; sans succès je me résous à demander mon chemin. Une femme m’invite spontanément à passer la nuit dans sa maison. La famille m’accueille et me sert le thé, me demande si j’ai mangé. La fille par bonheur parle russe et nous nous débrouillons pour organiser mon retour sur Bishkek le lendemain. Il se fera à bord d’un marchroutchka, transport public par excellence. Puis elle m’indique ma chambre recouverte et tapissée de beaux et grands tapis de laine. On dort au sol dans les familles paysannes, mais bien au chaud. Le reste de la famille se serre dans les pièces annexes, femmes d’un côté et hommes de l’autre. Au petit matin, on me sert le déjeuner avant d’attendre, longuement mais ensemble, le minibus qui va chercher les gens devant leur domicile.
Mes premières expériences d’hospitalité sont empreintes de bonhomie grâce au sens inné de l’accueil des Kirghizes habitant la campagne.
Le dragon s’est pétrifié en bordure du vaste lac d’Issyk Kul
Dans la légende russe, les formes du canyon de Skazka évoquent un conte de fée. Diverses formations taillées par l’eau, les glaces et les vents prêtent au mysticisme alors que certaines silhouettes figées dans le sable interpellent: on y trouve un pharaon contemplant le couchant, accompagné de sphinx et de lions rugissants parmi quelques chameaux, poissons marteaux ou dinosaures égarés.
L’une des têtes du dragon pétrifié
Pharaon des sables
Poisson marteau
E.T. Home
Sphinx sur ses gardes
Dans la nuit des temps, alors que le lac Issyk Kul n’avait pas encore inondé de riches et puissantes cités, un mystérieux dragon à sept têtes se serait épris d’une belle jeune-fille. Essuyant son refus, il promit à la contrée un funeste devenir. Chaque nuit de pleine lune, un de ses puits risquerait de l’inonder. Puis le géant s’endormit. Avisés, les habitants veillaient; chaque lune pleine, ils recouvraient leurs puits de couvercles dorés. Son tour venu, la belle oublia le funeste présage et l’eau enfouit à jamais ces contrées. À son réveil sur les collines de Skazka, le dragon se pétrifia d’horreur à la vue de l’étendue du lac se découpant au pied de la chaîne de Küngöy Alatoo. C’est son corps figé à jamais que l’on parcourt par les vallons déchirant ses entrailles.
Entrailles de pierre
Telle une colonne vertébrale, une double paroi de rocs courbés évoque la grande muraille de Chine. Mais si l’on oublie la légende, la géomorphologie du lieu raconte une longue histoire: celle d’une terre atteinte de la lèpre. L’érosion a patiemment mis à jour quelques couches de minéraux hétéroclites. Plus compactes que le sable, certaines contiennent des minerais différents des collines environnantes.
Cette terre atteinte de la lèpre
Lorsque les rayons du soleil effleurent le relief, la terre craquelée dévoile ses chairs mises à vif. Des roches striées de jaune évoquent de sulfureuses réminiscences, parcourues de boursoufflures rougeâtres. Ces convulsions terrestres rappellent le passé tourmenté de ce lieu de légende.
Passé tourmenté de ce lieu de légende
Des roches striées de jaune évoquent de sulfureuses réminiscences, parcourues de boursoufflures rougeâtres.