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Couleur bleu pâle, lové au milieu des montagnes brunâtres, le lac de Song Kul est immense, imprégné de silence et de beauté. Pour accéder aux yourtes qui se trouvent sur ses rives, je rejoins une vallée verdâtre parsemée de vaches et de chevaux. Les paysans sont à l’alpage, au « Jailoo », avec famille et troupeaux. Ils ont monté leur habitation traditionnelle à proximité du ruisseau et creusé un coin toilette à l’écart.


De rares chevaux ont le train avant entravé « pour éviter qu’ils ne rejoignent leur écurie dans la vallée. » Devant sa yourte, une femme trait une jument. Avant le crépuscule, quelques cavaliers réunissent à grands cris les divers troupeaux dans un nuage de poussière. Avec la fraîcheur qui s’installe, l’alpage se prépare à passer la nuit sur les bords du lac brassé par une houle régulière.


Elnour (Элнур), le fils de Aïnura (Айнyра) et de Nurbek Nouradiln (Нурбек Нурадилн) nous accueille à leur camp de yourtes: cela faisait déjà quelque temps qu’il nous suivait à la jumelle. Baïkal (Байкал), le plus jeune des fils a le nez collé à son portable, malgré l’absence de réseau. Les noms Kirghizes ont tous une signification: Aïnura signifie « Rayon de lune » et colle bien à notre hôte qui a le sourire collé aux lèvres. Ce soir elle nous prépare un poisson pêché le matin même dans le lac. Exceptionnellement invités dans sa yourte-cuisine, nous assistons au débit du gros poisson, tiré du lac ce matin et qu’elle nous sert au repas. Préparée avec goût, sa chaire succulente nous ravit. C’est l’anniversaire de Baïkal, qui a droit à un gâteau et à une séance équestre dans un crépuscule sans lune.

D’aspect uniformément blanchâtre vues de l’extérieur, les yourtes s’égaient à l’intérieur. Le sol et les parois sont recouverts de tapis kirghizes aux motifs symboliques et colorés. Les piliers de bois rouges qui constituent la structure font de toute yourte un lieu d’accueil chaleureux. Le dessin des piquets de bois a même inspiré le drapeau national. Cette nuit cependant, c’est l’extérieur qui me ravit: aucune source de lumière ne vient empêcher l’observation de la voie lactée, de ses astres et étoiles innombrables. Sentiment d’habiter un lieu puissant où règne une énergie positive.

Au réveil le bétail a déjà retrouvé ses pâturages. Le lac paisible invite à la méditation. Il fait encore un peu frais pour s’y baigner. Aïnura trait les quelques vaches encore attachées, puis met le lait à chauffer sur le fourneau de fonte. Pour alimenter le feu, point de bois, inexistant alentours, mais des bouses séchées que la famille trouve en suffisance. Un peu de cire fait l’affaire pour allumer ce combustible écologique et durable. Lorsque le lait a atteint la température de 36°, toute la famille est requise pour le transformer le lait en beurre sur un moteur robuste et efficace. En ressort du petit lait qui servira à faire le yaourt, apprêté dans un estomac de brebis séché, ainsi que la crème, bientôt tournée en beurre. Elle vendra le tout prochainement pour quelques 4 à 500 soms le kilo, l’équivalent de 5 francs suisses. La vie se déroule, paisible: les hommes après le bétail et les femmes occupées aux multiples tâches ménagères qu’implique l’accueil des touristes dans ces campements estivaux. Quelques mots d’anglais suffisent pour la bonne compréhension. Je suis content toutefois d’avoir bûché mon russe, qui me permet d’en savoir un peu plus sur cette famille nomade.

Le mari Nurbek est au village, situé à quatre heures de cheval de Song Kul. Il y passe une dizaine de jours à convoyer les troupeaux de chevaux sur certains marchés. Le fils aîné aspire à devenir journaliste de télévision. Il attend le retour de son père pour redescendre au village et recommencer l’école. Qu’importent les quelques jours de cours manqués, il ne saurait laisser sa mère toute seule. Tout en discutant, Elnour a creusé une petite cavité à même le sol, il y dispose des buissons résineux récoltés haut sur la montagne et y met le feu. Un tonneau de bois est disposé tête en bas sur le petit foyer, dont la fumée dégage une odeur agréable destinée à imprégner le bois dans lequel on prépare le Kumiss. Légèrement alcoolisée, cette boisson traditionnelle faite de lait de jument fermenté sera elle aussi vendue. Chaque semaine, un véhicule fait la navette avec les denrées alimentaires nécessaires et les produits à écouler en plaine.


Ainsi vivent les nomades, entre tâches alimentaires et domestiques et conduite des troupeaux sur les alpages. À la mi-septembre les yourtes seront démontées et entreposées dans un container pour passer l’hiver et retrouver, une fois la neige fondue, la famille Nouradiln pour un nouvel été à l’alpage … sur les rives du lac bleu.
Merci François pour ces beaux textes et ces superbes images ! Bises joelle